A l’image de la crise asiatique qui a obligé Singapour à (ré)agir, la Suisse devrait s’interroger et trouver dans la crise actuelle, les ressources de son sursaut au lieu de passer son temps à encaisser les coups et à attendre en essayant de sauver les meubles comme si cela représentait le moindre idéal stratégique. Ainsi, il faudrait se souvenir des paroles de Tony Blair «La meilleure chose qu’un gouvernement puisse faire, c’est d’éviter de donner l’illusion que nous pouvons empêcher les changements». Une mutation de la place financière suisse est inévitable dans le contexte de risque non négligeable d’un «toujours plus» de contraintes, de régulations et de taxations imposé simultanément par les Etats-Unis et l’Europe. Il faut activement chercher une solution. L’initiative de développer un méta-cluster dans l’asset management est sans doute une solution. En fait, il n’existe pour l’instant pas tellement d’autres alternatives car le domaine du wealth management est largement bien développé tout comme la banque de détail, de commerce ou d’hypothèques, etc. Et il n’y a pas beaucoup de développement à attendre de ses côtés là. Il reste donc principalement l’asset management encore nettement insuffisamment développé par rapport à notre potentiel qui pourrait représenter un levier de croissance pour la place financière suisse.
La Suisse peut-elle devenir une place forte de l’asset management? Est-il trop tard? Avons-nous les moyens et la volonté de le faire? Un cluster nécessite d’attirer les talents, autrement que par la beauté de nos paysages et le cadre de vie? Par où commencer? Quelle est notre unique selling proposal?
Autant de questions qu’il faudra bien résoudre en plus des septiques qu’il faudra convaincre. En effet, beaucoup doutent de la capacité de la Suisse à se renouveler. Ils préfèrent miser encore et toujours sur une position plus classique comme celle de la distribution des fonds, des fonds de fonds, du «wealth management» et le bon vieux conseil à la clientèle. Mais d’autres banques à l’instar de la Banque Pictet, qui a depuis quelques années déjà investi le champ de la gestion institutionnelle (fonds de pension, assurances, etc.) et préparé l’avenir en développant une nouvelle entité appelée «Pictet Asset Management», pensent qu’il faudrait aller de l’avant. La Banque Privée Edmond de Rothschild est en train de suivre ce mouvement tout comme d’autres acteurs parfois beaucoup plus petits: La banque Bonhôte à Neuchâtel ou 1875 Finance à Genève. Ils seraient cette année une quarantaine selon la SFAMA à avoir rejoint les poids lourd globaux ayant une forte présence en Suisse comme Capital Group (Genève), Partners Group (Zoug) ou Blackrock (Zurich). La machine est en marche. Lentement mais surement.
Bien qu’au milieu des années 2000, on ait pu croire un instant que les hedge funds allaient venir s’installer en Suisse et en particulier à Genève, suite à l’arrivée de Jabre Capital, Brevan Howard ou encore de BlueCrest. Ce mouvement s’est arrêté peu de temps après la crise la crise de 2008. La réaction du gouvernement britannique pour aider la place londonienne dans la compétition mondiale, notamment la modification de quelques mesures fiscales défavorables à l’industrie y est pour quelque chose. Aujourd’hui, c’est donc plutôt autour de la gestion des immenses fonds représentés par les avoirs des caisses de pension que se joue en Suisse l’avenir de l’Asset Management. Dans le domaine de fonds, cela passe par le développement d’une vraie capacité de gestion plutôt que juste par la distribution.
Afin de développer une industrie de l’asset management en Suisse forte et distincte, il faudrait ouvrir d’autres champs d’activités dans lesquels notre compétence propre pourrait être reconnue comme une proposition forte, originale et crédible. Peut-être la présence massive des acteurs du commerce des matières premières et autres commodities que l’on trouve à Genève et à Zoug principalement, devraient permettre un développement de l’asset management dans cette direction? Il faut en effet ne pas oublier que les compétences métiers sont une caractéristique importante de l’asset management.
On n’est pas dans la distribution de produits mais on fait directement appel au savoir concret de la fabrication, de l’élaboration de stratégie complexe et sophistiquée. Voilà le véritable enjeu. Créer et trouver des nouveautés pour l’investissement. Ce savoir des matières premières est avant tout détenu par les acteurs du marché eux-mêmes.
La proximité avec eux devrait pouvoir crée du spillover propice à l’enrichissement mutuel des savoirs. Voilà l’enjeu pour la Suisse: accroître les savoirs et les compétences. Les savoirs et les compétences humaines restent donc, à nos yeux, les seuls véritables enjeux pour l’avenir de la place fi- nancière suisse dès lors qu’il n’y aura plus d’arbitrages possibles entre les places financières mondiales en terme de régulations et de taxations. In fine, seul le «brain» va compter. Il faut l’accepter et l’anticiper. Cela signifie qu’il faut envisager une stratégie sur la classe créative bancaire. Comment attirer les plus brillants? Comment les former? Tout cela prendra du temps mais rien ne nous empêche de commencer tout de suite en visant le moyen terme. L’expérience de Singapour nous a démontré que les efforts ont tendance à être payé de manière exponentielle. Très peu au début, beaucoup plus ensuite. Il y a dans le domaine financier un incontestable effet de masse, que l’on appelle cluster. Singapour s’en est inspiré. Aujourd’hui c’est notre tour. L’initiative lancée l’année dernière à pareille époque par la SFAMA doit être soutenue avec entêtement et force. «Never give up» tel doit être notre moto.
Cet article a été publié dans «L'Agefi» du 31 octobre 2013.