Jusqu’au début des années 2010, les subventions publiques en Europe avaient tendance à diminuer, ce qui s’explique notamment par la diffusion et l’application croissantes des règles en matière de concurrence et d’aides d’Etat. Ces dernières années, les subventions sont toutefois redevenues à la mode, par exemple lors de la pandémie ou actuellement alors que les prix des produits et de l’énergie sont en hausse. Les milieux politiques ont le réflexe d’y recourir comme s’il s’agissait d’un remède. D’un point de vue économique, on sait depuis longtemps que les subventions sont un instrument extrêmement statique qui provoque très souvent des distorsions du marché et de mauvaises incitations allocatives.
Manque de vérité des coûts et résultats du marché faussés
C’est précisément lorsque les subventions prennent la forme de paiements directs de l’Etat que l’on peut s’attendre à des résultats inefficients sur le marché. Cela est parfaitement démontré par le subventionnement de sources d’énergie spécifiques et neutres en CO2, visant à lutter contre le changement climatique : d’une part, le renchérissement souhaité des sources d’énergie fossiles pour établir la vérité des coûts n’a pas lieu et, d’autre part, les alternatives subventionnées créent une non-vérité des coûts supplémentaire. Certes, la baisse artificielle du prix d’une source d’énergie neutre en CO2 incite à se tourner vers une alternative, mais parallèlement, le prix total de l’énergie diminue, ce qui réduit les incitations au ralentissement de leur consommation. Par ailleurs, la cohérence fait souvent défaut au moment de subventionner certaines technologies : le risque que des subventions individuelles fixent des prix (implicites) différents pour les émissions de CO2 est grand. On peut obtenir des résultats moins coûteux et plus efficients grâce à un signal-prix unique pour tous les acteurs économiques, par exemple sous la forme d’une taxe sur le CO2. Cela permettrait également de supprimer la décision, parfois arbitraire, de savoir qui reçoit exactement des subventions ou avec quelles technologies les émissions doivent être réduites (voir Dümmler et al., 2021).
Le risque de subventions inefficientes n’est pas seulement élevé dans le domaine du climat, pour lequel il existe un large consensus pour que l’Etat assure la vérité des coûts. C’est dans les domaines où il n’y a pas de véritable défaillance de marché que la baisse des coûts, imputable aux subventions, des facteurs de production tels que la terre, l’eau, le travail ou le capital, a tendance à entraîner une surexploitation des ressources rares. La politique agricole, par exemple, illustre cette situation de manière absurde : plus de 30 millions de francs sont dépensés chaque année pour la réduction du prix et la promotion du sucre. Parallèlement, on ne cesse de réclamer l’introduction de taxes d’incitation pour protéger la population d’une consommation excessive de sucre. On observe cette même tendance dans la production du tabac et la prévention du tabagisme (voir Taboada et Cosandey, 2022).
Effets d’aubaine, d’éviction, etc
Outre les distorsions du marché mentionnées, les subventions entraînent régulièrement d’autres effets néfastes sur l’économie. Ainsi, elles sont souvent peu ciblées, car l’Etat ne dispose tout simplement pas des informations nécessaires pour savoir quelles technologies, quels projets ou encore quels processus sont prometteurs et méritent d’être soutenus. Il est tout aussi difficile d’estimer quels projets seraient réalisés même sans financement public et ne devraient donc pas être subventionnés (effets d’aubaine). Une étude réalisée par Econcept pour la ville de Zurich en 2017 montre par exemple que ces inquiétudes ne sont pas seulement hypothétiques. Les auteurs ont constaté que 80 % des bénéficiaires de subventions à la rénovation des bâtiments auraient appliqué ces mesures même sans subvention. Ce qui est également inefficient, c’est le fait que l’Etat évince les investisseurs privés avec ses subventions (effet d’éviction) et qu’il n’y ait donc globalement pas d’augmentation des moyens investis.
Politique d’intérêt et recherche de rente
Les subventions peuvent donc présenter un coût d’opportunité élevé. Souvent, elles sont peu ciblées et entraînent des distorsions du marché ainsi que de mauvaises incitations. Dans le pire des cas, elles sont plus néfastes que bénéfiques et constituent tout simplement un gaspillage de l’argent public. Mais comment expliquer que les subventions jouissent malgré tout d’une telle popularité dans le monde politique ? Sur le plan politique et économique, la réponse est simple : les subventions constituent un moyen parfait pour distribuer des cadeaux, ce qui augmente l’acceptation, la popularité et les chances de (ré)élection des hommes et des femmes politiques. Le fait que ces cadeaux soient en fin de compte payés par les contribuables est souvent relégué au second plan. Alors qu’en règle générale, peu de personnes profitent d’une subvention, les coûts sont répartis sur plusieurs personnes.
C’est également la raison pour laquelle les subventions permettent de promouvoir si facilement des intérêts particuliers, ce qui encourage ensuite les groupes d’intérêts à mener des activités de lobbying (la recherche de rente). Ce sont justement ces subventions qui sont souvent particulièrement dommageables, car elles présentent typiquement un caractère protectionniste et de maintien des structures. Le préjudice pour la collectivité est double : non seulement des subventions inefficientes sont accordées, mais il peut également y avoir des coûts élevés et inutiles pour la recherche de rente.
Par ailleurs, les subventions, une fois accordées, sont quasiment impossibles à supprimer. Et ce, même si la raison initiale de la subvention n’a plus lieu d’être depuis longtemps. La suppression des subventions échoue régulièrement en raison de la forte résistance des groupes d’intérêts qui en profitent. Les subventions sont en fin de compte des instruments extrêmement statiques, auxquels il manque la dynamique nécessaire pour réagir à l’évolution des conditions.
Vous trouverez de plus amples informations à ce sujet ainsi que des réponses sur la manière de lutter contre les effets néfastes des subventions dans notre publication «Les aides d’Etat-l’Etat des aides».