Avec l’«Initiative pour l’avenir» qui vient d’être lancée, l’imposition des personnes fortunées refait les titres. L’initiative populaire demande entre autres un impôt fédéral de 50 % sur les successions à partir de 50 millions de francs. Le débat suggère ainsi l’idée que les ménages fortunés s’en sortent «trop bien» dans notre pays. On a pu lire dans des articles d’opinion qu’il serait logique de «faire payer les riches plus que les pauvres» afin de couvrir les (prétendus) besoins financiers des pouvoirs publics. Mais qu’en est-il dans les faits ?

En Suisse, le capital et la fortune ne sont pas particulièrement épargnés, comme Avenir Suisse l’a notamment déjà expliqué ici ou . La Suisse fait partie des quelques pays dans lesquels la fortune privée des ménages est imposée directement. Parmi les pays de l’OCDE, seuls la Colombie, la Norvège et l’Espagne pratiquent encore ce type d’imposition.

Néanmoins, pour aucun des pays précités, l’impôt sur la fortune n’est aussi important sur le plan fiscal qu’en Suisse. Ce dernier a généré plus de 5,5 % des recettes fiscales totales de la Confédération, des cantons et des communes, soit environ 8,7 milliards de francs en 2021. La tendance est à la hausse depuis des années. En Espagne et en Norvège, l’impôt sur la fortune ne représente qu’environ 1 % des recettes fiscales.

5 % paient ce que 90 % des autres contribuables paient

En Suisse, une petite minorité contribue à la majeure partie des recettes provenant de l’impôt sur la fortune. Cela s’explique principalement par trois raisons :

  • Tout d’abord, chaque contribuable peut bénéficier d’une imputation de la fortune. Selon les cantons, celle-ci varie entre 26 000 et 200 000 francs. Environ 50 % des contribuables ne paient donc pas d’impôt sur la fortune, bien qu’ils disposent d’une fortune nette (les dettes sont prises en compte).
  • Ensuite, les barèmes sont progressifs dans les cantons, à une exception près : les petites fortunes sont donc généralement soumises à un taux d’imposition plus bas que les grandes. Dans toute la Suisse, on estime qu’en 2020, 80 % des contribuables ont payé moins de 1 000 francs d’impôt sur la fortune.
  • Enfin, il s’agit ici de la fortune enregistrée fiscalement. Cependant, celle-ci ne représente qu’une partie de la fortune totale des ménages. Si l’on ajoutait, par exemple, le capital accumulé dans les 2e et 3e piliers – pour beaucoup, la forme de fortune la plus significative en termes quantitatifs –, la proportion de ceux qui ne paient pas d’impôt sur la fortune malgré la possession d’une fortune augmenterait à environ deux tiers.

L’illustration suivante montre à quel point la charge de l’impôt sur la fortune pèse sur les fortunes les plus élevées selon les cantons. Elle compare la part des 5 % les plus riches dans la fortune imposable (points rouges) avec la part des 5 % les plus riches dans les recettes de l’impôt sur la fortune (points bleus).

La longueur de la barre grise peut être interprétée comme une simple mesure de la progressivité de l’impôt. C’est donc dans le canton de Zurich que la progressivité est la plus marquée, puisque les 5 % les plus fortunés réunissent 70 % de la fortune imposable, mais génèrent 89% des recettes fiscales. Nidwald est le seul canton à appliquer un taux d’imposition proportionnel. Ici, la part de la fortune qui est due au titre de l’impôt reste constante à mesure que la fortune augmente. En moyenne sur l’ensemble des cantons (non pondérée), la part d’impôt est supérieure de près de 10 points de pourcentage à la part de fortune.

Les mises en garde de différentes parts contre les conséquences d’un nouvel impôt sur les successions dans le système fiscal actuel sont donc justifiées. On oublie en effet trop souvent que les plus fortunés contribuent déjà de manière significative au financement de la collectivité avec l’impôt sur la fortune. La question de savoir si un impôt sur les successions est judicieux est tout à fait légitime. Mais la réponse dépend notamment du système fiscal dans son ensemble, un aspect dont les politiciens ont tout intérêt à prendre en compte dans les questions fiscales.