La sécurité d’approvisionnement en hiver préoccupe la Suisse. Dès que les centrales nucléaires fermeront et que les pompes à chaleur et les voitures électriques auront besoin d’électricité, un énorme déficit risque de se produire pendant la saison froide. L’électricité solaire doit donc devenir, avec l’énergie hydraulique, le deuxième grand pilier de l’approvisionnement en énergie. Mais jusqu’à présent, une conséquence du tournant énergétique a été largement négligée : des difficultés menacent également en été, même si elles sont plus évidentes l’hiver.

Si de plus en plus de panneaux solaires sont installés sur les toits et les façades, il y aura d’énormes excédents à certaines heures en été. Sur l’année, la Suisse produit certes autant d’électricité qu’elle en a besoin si elle développe fortement ses capacités solaires. Toutefois, générer beaucoup d’électricité est inutile si, en été, la production est supérieure à la demande, alors que les tendances s’inversent l’hiver.

En 2050, on estime que 50 gigawatts de panneaux solaires seront installés sur les toits. Lors d’une journée d’été sans nuage, une grande quantité d’électricité est ainsi produite pendant une courte période, dont personne n’a besoin immédiatement. Aujourd’hui déjà, alors que la puissance des installations solaires n’est que de 6 gigawatts, les prix à la bourse de l’électricité sont de plus en plus souvent négatifs. Cette année, cela a déjà été le cas pendant 242 heures (date de référence : 20 août 2024). Durant ces heures, les producteurs paient les acheteurs.

Au cours des cinq dernières années, la Suisse a exporté environ 5 térawattheures (TWh) d’électricité en été, ce qui correspond à environ un cinquième de la consommation. Si les objectifs (contraignants) de la loi sur l’énergie sont atteints, la production pourrait dépasser la consommation de 20 TWh pendant la saison estivale (voir figure).

Deux questions se posent alors : premièrement, comment garantir que l’afflux d’électricité estivale ne surcharge pas les réseaux, au risque de provoquer un black-out dans le pire des cas ? Nous répondrons à cette question dans une deuxième partie. Dans cette première partie, nous nous demandons s’il est possible de conserver l’excédent de 20 TWh d’électricité estivale pendant l’hiver. Au cours des dernières années, la Suisse a importé en moyenne 5 TWh d’électricité pendant les mois d’hiver, soit environ un sixième de sa consommation. Et ce déficit pourrait plus que doubler au cours des prochaines décennies.

Kilowatt ou kilowattheure ?

Il est vrai que cela peut prêter à confusion. Dans cet article, il est parfois question de kilowatts, puis de kilowattheures, ou encore de mégawatts (=1000 kW) ou de mégawattheures (=1000 kWh). Quelle est la différence ? On peut faire l’analogie avec un robinet. L’eau s’écoule de celui-ci avec une certaine force. L’équivalent de cette force pour l’électricité est le kilowatt. Lorsque l’on remplit une baignoire avec un robinet, cela prend un certain temps en fonction de la puissance du robinet. Par analogie, pour l’électricité il s’agirait ici de kilowattheure.

Pour prendre un autre exemple dans le domaine de l’électricité : supposons qu’une machine à laver ait une puissance de 1 kilowatt. Un cycle de lavage dure environ une heure. Le lave-linge consomme donc en un cycle une énergie équivalente à 1 kilowatt x 1 heure, soit 1 kWh. Et voilà, dorénavant, vous ne confondrez certainement plus jamais kilowatt et kilowattheure.

Des centaines de centrales de pompage-turbinage

La Suisse est le pays des bassins d’accumulation. Ceux-ci ont un volume de stockage de 9 TWh, soit 15 % de la consommation annuelle. Ils sont essentiels, surtout en hiver. L’été, les précipitations et l’enneigement remplissent ces réserves. Mais si l’on veut transformer l’électricité produite en été en électricité pour l’hiver, il faut autre chose. La première possibilité que nous analysons est celle des centrales de pompage-turbinage. Dans une centrale de pompage-turbinage, l’électricité excédentaire peut être pompée d’un lac situé plus bas vers un lac situé plus haut. En hiver, l’eau pompée en amont serait à nouveau évacuée dans le lac inférieur. L’eau fait alors tourner des turbines qui produisent de l’électricité.

En 2022, Alpiq a mis en service la centrale de pompage-turbinage de Nant de Drance. Elle a coûté 2,1 milliards de francs. Le lac supérieur contient tellement d’eau qu’il permet de produire 20 gigawattheures (GWh) d’électricité. Si l’on pompait 20 TWh d’électricité en été, on récupérerait 16 TWh d’électricité en hiver, car les pertes mécaniques et électriques s’élèvent à environ 20 %. Il faudrait donc construire 800 centrales telles que celle de Nant de Drance, ce qui coûterait 1700 milliards de francs, soit plus de deux fois la performance économique de la Suisse. Non seulement les coûts seraient exorbitants, mais il faudrait également inonder d’innombrables vallées.
Les centrales de pompage-turbinage jouent certes un rôle important dans la transition énergétique : elles peuvent stocker le surplus d’électricité bon marché et le restituer la nuit ou le matin, lorsque le soleil ne brille pas (encore). La centrale de Nant de Drance a ainsi fourni un térawattheure d’électricité en 2023. Le bassin d’accumulation supérieur a ainsi été rempli et vidé presque une fois par semaine. Les centrales de pompage-turbinage ne sont toutefois pas du tout adaptées à un stockage saisonnier, comme l’a montré le calcul approximatif précédent.

Le canton de Thurgovie pour le stockage par batterie

L’électricité pourrait-elle être stockée dans des mégapacks Tesla ? Ce sont des batteries de la taille d’un conteneur. Un mégapack stocke 3,9 mégawattheures (MWh) d’électricité. Il faudrait donc charger 5,1 millions de ces mégapacks en Suisse et les décharger pendant le semestre d’hiver, sachant que les pertes pour les batteries lithium-ion s’élèvent à 1 à 2 % par mois.

Un megapack coûte l’équivalent d’un million de francs. Le coût d’acquisition de 5,1 millions de megapacks s’élèverait donc à 5,1 billions de francs, soit un demi-million de francs par habitant. La surface nécessaire pour installer tous ces megapacks serait en outre aussi grande que le canton de Thurgovie.

Tout comme l’accumulation par pompage, l’accumulation par batterie devient plus importante pour le tournant énergétique, par exemple pour la stabilité du réseau. Mais ici aussi, l’accent est mis sur une utilisation à court terme, pendant des heures, et non sur un stockage saisonnier. Les coûts et la consommation de matériel sont bien trop élevés pour cela. Cette estimation ne changera pas si, comme prévu, les coûts diminuent encore de moitié d’ici 2030.

L’hydrogène, ce mot magique

Les centrales de pompage-turbinage et les batteries ne font donc pas l’affaire. C’est alors que le mot magique «hydrogène» entre en scène quand on parle de stockage hivernal. L’idée paraît plausible : on prend le surplus d’électricité solaire, on l’utilise pour faire fonctionner un électrolyseur qui décompose l’eau en hydrogène et oxygène. L’hydrogène peut par exemple être stocké dans d’anciennes mines de sel ou des gisements de gaz. En hiver, l’hydrogène, produit de manière écologique, permet d’alimenter des turbines à gaz. On obtient ainsi de l’électricité qui se fait rare.

Les coûts de production de l’hydrogène dépendent de la charge de travail de l’électrolyseur et du prix de l’électricité avec laquelle il fonctionne. Les électrolyseurs ont des coûts fixes élevés. Pour qu’ils soient rentables, ils devraient atteindre 4000 à 5000 heures de pleine charge par an. Mais si l’on veut faire fonctionner les électrolyseurs uniquement avec de l’électricité solaire excédentaire, de tels chiffres ne peuvent pas être atteints. Lugano, la ville la plus ensoleillée, compte environ 2300 heures d’ensoleillement en 2023, alors que de nombreuses régions du Plateau suisse se situent en dessous de 2000 heures. Les villes espagnoles atteignent tout de même 3000 à 3500 heures d’ensoleillement. Utiliser des électrolyseurs dans les conditions suisses ne devrait donc pas être très efficace. Tout au plus pourrait-on améliorer le taux d’utilisation avec de l’électricité provenant d’autres sources comme les usines d’incinération des ordures ménagères ou les centrales hydroélectriques au fil de l’eau. Mais l’électricité sera nettement plus chère aux heures où les installations ne sont pas exploitées avec des surplus bon marché.

De plus, les pertes d’énergie lors de la production d’hydrogène et de la transformation ultérieure en électricité sont importantes. Ainsi, 30 % de l’énergie est perdue lors de la transformation de l’électricité en hydrogène. Un faible rendement n’est cependant pas le plus gros problème aux heures d’ensoleillement, car les prix de l’électricité sont alors bas, voire négatifs. Lors de la reconversion en électricité, le rendement d’une centrale à gaz est de 60 % maximum. Ainsi, 20 TWh d’électricité en été se transforment en 8,5 TWh d’électricité en hiver au maximum.

Investir dans la production d’hydrogène est dans tous les cas une entreprise coûteuse. Aujourd’hui, des électrolyseurs d’une puissance d’environ 3000 mégawatts sont utilisés dans le monde entier. Pour traiter 20 TWh d’électricité solaire pendant, par exemple, 1000 heures, il faudrait donc des capacités d’électrolyseurs de 20’000 mégawatts, soit presque sept fois plus que celles qui sont actuellement en service dans le monde.

Les coûts d’investissement sont estimés par l’Institut Fraunhofer pour les systèmes énergétiques solaires à 500 francs par kilowatt de puissance pour un électrolyseur en 2030. Pour 20 000 MW, cela représenterait 10 milliards de francs. Si les installations étaient commandées aujourd’hui, elles coûteraient même 20 milliards de francs. Si l’on ajoute à cela les coûts indirects du capital tels que les prestations d’ingénierie ainsi que les assurances, la société de conseil KPMG arrive même à 2000 francs par kilowatt de puissance, ce qui correspondrait à 40 milliards de francs.

Des coûts plus élevés qu’une grande centrale nucléaire

Dans un deuxième temps, il faudrait stocker l’hydrogène produit. La Suisse ne dispose pas d’anciennes cavernes de sel qui conviendraient à cet effet. Elle devrait plutôt investir dans des cavernes de roche recouvertes («lined rock caverns»). Les coûts d’investissement varient toutefois énormément. Dans la littérature, on lit des chiffres allant de 0,4 à 3,5 dollars par kWh. Extrapolé à 13 TWh (ce qui reste de 20 TWh sous forme d’hydrogène après l’électrolyse), cela représenterait en gros 5 à 40 milliards de francs – la fourchette est donc énorme.

Enfin, il faut des centrales à gaz pour transformer l’hydrogène en électricité. Si une centrale à gaz d’une capacité de 500 MW fonctionne pendant les mois d’hiver critiques de novembre à janvier (2000 heures), elle produit 1 TWh d’électricité. Il faut donc 8,5 centrales de ce type, qui devraient coûter chacune environ 700 millions de francs. Cela représenterait 6 milliards de francs.

Ainsi, les coûts d’investissement pour l’hydrogène «porteur d’espoir» s’élèvent entre 20 et 86 milliards de francs, selon les coûts des électrolyseurs et des réservoirs. A titre de comparaison : avec cet argent, on pourrait construire environ une à trois grandes centrales nucléaires, même en tenant compte des coûts de stockage final. Une telle centrale nucléaire produirait 13 TWh d’électricité par an pendant 60 ans, dont la majorité pendant le semestre d’hiver, car on procède aux révisions des centrales pendant les mois d’été.

Quels investissements sont nécessaires pour stocker 20 TWh d’électricité pour l’hiver ?

ElementsCoûts d'investissement
Centrale de pompage-turbinage800 Nant de Drance à 2,1 mia. de Fr.1700 mia. de Fr.
Batteries5,1 mio. de megapacks Tesla à 1 mio. de Fr.5100 mia. de Fr.
Hydrogène
Électrolyseurs
Bassins d'accumulation
Turbines à gaz
20 à 86 mia. de Fr.
A titre de comparaison : une centrale nucléaire coûteusekCentrale nucléaire de Flamanville (France) 18 mia. de Fr.
Traitement/déconstruction 10 mia. de Fr.
28 mia. de Fr.

Les calculs montrent qu’il n’existe actuellement aucune possibilité abordable de déplacer d’énormes quantités d’électricité de l’été à l’hiver. Si l’une des trois technologies est envisageable, c’est la variante à l’hydrogène, mais elle nécessiterait la construction d’une énorme infrastructure qui n’existe encore nulle part. C’est pourquoi les estimations de coûts sont très incertaines. Selon une étude de l’Institut Paul Scherrer, l’électricité produite à partir d’hydrogène écologique par une petite installation coûte actuellement 470 francs par mégawattheure. D’ici 2030, ce coût pourrait baisser à 150 ou 200 francs, selon les estimations. Ce serait encore deux à trois fois plus que les contrats à terme actuellement négociés en bourse pour 2030.

Jusqu’à nouvel ordre, il convient donc de consommer rapidement l’électricité produite en été. Dans la deuxième partie du blog, nous montrerons comment mieux coordonner la production et la consommation et comment éviter les surcharges du réseau.

Partie 2 : «Recettes contre la surproduction» bientôt disponible.