Le 27 septembre dernier, la population suisse a très clairement exprimé sa volonté de maintenir ses relations bilatérales avec l’Europe en votant contre l’initiative de limitation. Depuis leur entrée en vigueur, il y a presque 20 ans, les accords bilatéraux ont, à de nombreuses reprises, été plébiscités lors de votations. Toutefois, selon les opposants à la libre circulation des personnes, celle-ci affaiblit le pouvoir de la population suisse et, avec lui, sa capacité d’autodétermination, pourtant si caractéristique du pays.
Evolution du concept de souveraineté
Mais d’où vient cette critique d’une prétendue perte de souveraineté ? Et d’ailleurs, qu’entend-on par souveraineté suisse ? Historiquement, la paix de Westphalie, signée en 1648, est considérée comme la date d’apparition de la souveraineté en Suisse, car c’est à ce moment-là que le principe d’Etat souverain est né. Les puissances européennes ne se considéraient alors plus comme une hiérarchie de différents dirigeants soumis à l’autorité du pape et de l’empereur, mais comme un groupe d’Etats indépendants et souverains, en principe égaux en droit. Cependant, la souveraineté a toujours été un sujet de controverse dont la signification n’a jamais été universelle. C’est pourquoi l’acception de la souveraineté a évolué dans le temps.
Aujourd’hui, ce terme ne signifie plus seulement autonomie nationale et autodétermination, mais il est également défini par les politologues comme droit de codécision à l’échelle internationale. Cette nouvelle acception est due aux diverses interdépendances entre les pays. En outre, de nombreux enjeux importants, comme le commerce extérieur ou les défis sociétaux liés à la migration ou à la protection de l’environnement sont des défis qui transcendent les frontières nationales par définition.
Cette nouvelle réalité correspond au concept aujourd’hui largement étendu de la «souveraineté partagée», dans laquelle les différents Etats négocient les responsabilités et les compétences entre eux. En Suisse, la souveraineté est déjà partagée, puisque les cantons sont souverains, et que la Constitution fédérale ne limite pas leur souveraineté.
Transfert de la souveraineté au niveau international
Aujourd’hui, en raison des interdépendances et des interconnexions, le terme de souveraineté d’un Etat comprend sa capacité d’affirmer son influence sur la scène internationale, et ce de manière beaucoup plus marquée que par le passé. En d’autres termes, la possibilité d’avoir un droit de codécision au niveau international. En droit, dans ce contexte, on parle de «multi-level governance». Cette interdépendance entre Etats souverains peut également conduire à un transfert des compétences – qui passent alors du niveau national au niveau international, intergouvernemental voire supranational. Il en résulte donc un «transfert de souveraineté».
Puisque les enjeux planétaires deviennent de plus en plus complexes et qu’ils nécessitent souvent une coordination internationale, la Suisse n’est pas épargnée par ces enjeux de politique institutionnelle. La question qui se pose est de savoir dans quelle mesure un transfert de souveraineté entre le niveau national et international devrait avoir lieu.
Transfert de souveraineté conscient de la part de la population suisse
Si l’on se concentre sur le modèle suisse, qui est perçu comme le degré d’autodétermination le plus haut possible, il est nécessaire de déterminer si ce transfert de souveraineté est effectué de manière consciente. Dans notre système de démocratie directe, c’est le cas : les citoyens peuvent utiliser leur pouvoir législatif de façon directe. Un tel transfert pourrait donc être annulé par la population, même si une telle décision entraînerait des coûts considérables.
La Suisse a joué un rôle déterminant en ce qui concerne le contenu des accords bilatéraux lors de leur négociation. Avec l’adhésion aux Accords bilatéraux I (puis Accords bilatéraux II), les votants suisses ont accepté des accords qui se réfèrent au droit européen ou qui se fondent sur celui-ci.
Européanisation du droit suisse
L’adaptation du droit suisse aux normes européennes se nomme aussi l’«adaptation autonome». Cet ensemble de règles communes au sein du marché intérieur, qui réduit considérablement la charge administrative des entreprises suisses, a comme conséquence une européanisation du droit suisse.
Une étude concernant l’influence du droit européen sur la législation suisse entre 2004 et 2007 a permis de tirer la conclusion suivante : environ la moitié des lois édictées au cours de ces années faisaient référence à une norme européenne. Ainsi, nous pouvons dire que l’européanisation du droit suisse est, aujourd’hui, une réalité.
Malgré l’orientation internationale de l’économie suisse et les nombreux accords de libre-échange dans le monde, ce sont bien les interdépendances économiques avec le marché unique européen qui sont les plus importantes. Toute personne qui mettrait en garde contre une perte de la souveraineté suisse lors de batailles électorales (passées ou futures) sur le sujet des accords bilatéraux ignorerait le fait que la population suisse a déjà accepté un certain transfert de souveraineté à plusieurs reprises dans le passé, et ce en raison de son interdépendance avec ses voisins européens. La Suisse doit donc prendre conscience de sa propre conception de souveraineté, en premier lieu vis-à-vis de l’UE.