En mars dernier, le Conseil fédéral a décrété le premier confinement national. En parallèle, diverses mesures de soutien ont été mises en place pour atténuer les conséquences économiques. A force de jongler entre fermetures et indemnisations, le message qui prédominait à l’époque était que l’économie pouvait être «gelée».
Rétrospectivement, en se penchant sur la première année de la pandémie, nous constatons que même si l’activité économique a effectivement en partie été gelée, dans l’ensemble, l’économie suisse s’est avérée étonnamment dynamique.
Dissimilitudes avec les crises économiques précédentes
La figure suivante montre l’évolution des créations et des faillites d’entreprises et les compare avec des crises précédentes.[1] Alors que le nombre de faillites a nettement diminué, le nombre de nouvelles entreprises créées depuis la fin de la première vague est supérieur à la moyenne. La crise du Covid-19 n’a pas engendré les mêmes conséquences sur le paysage entrepreneurial que les crises économiques du passé.
Cette tendance s’observe également dans d’autres pays. Les faillites ont fortement diminué dans certaines économies développées pendant la crise du Coronavirus. En parallèle, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en France, au Japon et en Allemagne, il y a eu un boom de créations d’entreprises. Ce déclin mondial des faillites peut s’expliquer par les diverses mesures de soutien mises en place par les gouvernements. Mais comment expliquer ce nombre croissant d’entreprises nouvellement créées ?
La branche de l’hébergement en mode «stop and go»
La figure suivante montre à la fois les entreprises nouvellement créées et les faillites réparties par secteur d’industries. Pour une description des différentes industries, voir l’encadré à la fin de l’article.
Il est particulièrement intéressant de voir comment la branche de l’hôtellerie s’est développée depuis le début de la pandémie. Au cours des douze derniers mois, les faillites ont été nettement inférieures à la moyenne dans ce secteur. Comme dans l’ensemble de l’économie, la première vague a été marquée par un effondrement des créations de nouvelles entreprises. Ensuite, de nombreux hôteliers et restaurateurs potentiels ont pris leur courage à deux mains : en été et au début de l’automne, un nombre nettement plus important de nouvelles entreprises ont été créées. Cependant, la deuxième vague semble avoir brusquement sapé cette confiance.
Le tableau est totalement différent dans le secteur du commerce de détail. Ici, la tendance à la création est en hausse depuis le printemps 2020. Cette situation peut surprendre à première vue, car le secteur a également été touché par les mesures de restriction. Toutefois, cette évolution concerne principalement de nouvelles entreprises dans le secteur de la vente de détail en ligne, et on observe d’ailleurs la même tendance à l’étranger, par exemple au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis.
Une tendance similaire, bien que moins marquée, est visible dans le secteur économique du «conseil aux entreprises et conseil fiscal». Dans ce secteur, l’incertitude liée au Covid-19 a entraîné un besoin supplémentaire en matière de conseil. En outre, les mesures de soutien du gouvernement ont probablement stimulé cette demande : tant les autorités que les entreprises proposent des services de consultation. Que cela soit pour aider à mettre en place des aides ou à naviguer parmi les diverses mesures d’aide complexes.
Le secteur Art et activités récréatives en difficulté
Contrairement à la branche de l’hébergement, qui a connu une légère vague de créations d’entreprises au milieu de l’année, les créations d’entreprises dans le secteur des arts et des activités récréatives ont été constamment inférieures aux chiffres de l’année précédente. Cette différence d’évolution pourrait s’expliquer par les restrictions plus longues imposées aux grands événements.
Le développement des entreprises offrant des services à la personne (comme les salons de coiffure, de beauté ou de tatouages) est révélateur. Ce secteur a également été fortement touché par les restrictions de la première vague. Plus tard cependant, il a joui de plus de liberté que le secteur de la restauration, par exemple. C’est ce qui pourrait expliquer pourquoi le boom d’entreprises nouvellement créées a duré un peu plus longtemps cet été.
Tout bouleversement économique permet des opportunités
Afin de montrer l’évolution des entreprises nouvellement créées et des faillites dans le temps, des chiffres cumulés et absolus ont été utilisés dans les figures précédentes. La figure suivante, quant à elle, montre l’évolution des faillites et des créations en fonction de la taille du secteur.
Le nombre de faillites a fortement diminué, indépendamment de la taille du secteur. La situation des créations d’entreprises est toutefois différente. Si le secteur de l’art et des activités récréatives a enregistré une baisse d’environ 13 % de créations d’entreprises, l’essor de ces créations dans le secteur du commerce de détail est prononcé par rapport à la taille du secteur. En effet, plus de 20 % de nouvelles entreprises y ont été créées.
Un dynamisme entrepreneurial qui s’exerce particulièrement dans une seule direction
Le fait que davantage de nouvelles entreprises aient été créées au cours des douze derniers mois ne devrait pas être trop surprenant. Contrairement à la crise financière de 2008, la pandémie de Coronavirus n’est pas une crise économique endogène : elle a été causée par l’émergence d’un nouveau virus, et non par des changements soudains de variables économiques (comme les prix ou les agrégats des crédits). Un changement brusque de l’environnement social offre de nouvelles opportunités commerciales, ce qui a été le cas lors de cette crise du Covid-19.
La pandémie est en train de bouleverser beaucoup de choses. A moyen et à long terme, les expériences des derniers mois sont susceptibles de modifier durablement certains aspects de nos vies. Par exemple, la société, qui a connu un essor de la numérisation, ne pourra pas revenir complètement en arrière. Nous pouvons donc nous attendre à une augmentation continue de l’élan entrepreneurial.
Cette dynamique est déjà très forte en temps normal : une entreprise nouvellement créée sur deux disparaît du marché en cinq ans. Sur le nombre total d’entreprises, environ 6 à 7 % ont récemment été retirées du marché chaque année pour être remplacées par un nombre légèrement supérieur de nouvelles entreprises. Cependant, au cours des douze derniers mois, ces processus de renouvellement entrepreneurial semblent avoir été sensiblement altérés.
Alors que les données sur les faillites indiquent certaines tendances de gel de l’économie, le boom des nouvelles entreprises dépeint un tableau bien différent. Comme les faillites sont susceptibles d’être faussées par les aides d’Etat, les entreprises nouvellement créées donnent probablement une image plus adéquate du développement économique. Un record a été battu dans les nouvelles inscriptions au registre du commerce en 2020, ce qui suggère que les besoins de la société ont en réalité considérablement changé, et que les nouvelles entreprises répondent à l’évolution de la demande.
Le fait que cette dynamique fonctionne au moins d’un côté est une bonne nouvelle. D’autant plus qu’historiquement, les nouvelles et jeunes entreprises sont particulièrement importantes pour la croissance nette de l’emploi. Entre 1980 et 2005, les entreprises de moins de cinq ans ont représenté une part importante de la création nette d’emplois aux Etats-Unis [2], une tendance qui est également visible dans de nombreux pays de l’OCDE.
Toutefois, pour que cette dynamique positive ne s’estompe pas à moyen et à long terme, il est essentiel que les sorties du marché reviennent aussi rapidement que possible à la normale après la crise sanitaire. En effet, maintenir artificiellement les entreprises sur le marché pendant une longue période n’est pas une solution de politique économique durable. L’analyse «Le cycle de vie des entreprises» publiée récemment, explique pourquoi et comment réagir au va-et-vient constant des entreprises.
Regard détaillé sur les branches représentées
Cet article a mis en lumière le développement des créations de nouvelles entreprises et des faillites dans différents secteurs de l’économie. Quelques exemples (non exhaustifs) sont présentés ci-dessous pour illustrer les domaines d’activité concernés :
• Hébergement et restauration : hôtels, restaurants, logements de vacances, bars, discothèques, centres de gymnastique et de fitness, etc.
• Commerce de détail : vente de détail (sur place et en ligne), grands magasins, supermarchés, pharmacies et drogueries, etc.
• Conseil aux entreprises et conseil fiscal : sociétés de conseil, d’audit, sociétés fiduciaires, agences de publicité, organisateurs de foires, d’expositions et de congrès, etc.
• Services personnels : blanchisseries – teintureries, salons de coiffure, de beauté, autres soins, photographie, etc.
• Art et activités récréatives : cinémas, théâtres, installations culturelles et de loisirs, musées, zoos, jeux de hasard, paris et loteries, installations sportives, services de divertissement et de loisirs, foires à caractère récréatif, etc.
Pour plus d’informations sur ce thème, consultez notre analyse «Le cycle de vie des entreprises».
[1] Il convient de noter que les faillites ne représentent qu’un sous-ensemble de toutes les fermetures d’entreprises. Toutefois, comme les chiffres des faillites sont temporellement plus proches des événements économiques que, par exemple, les radiations du registre du commerce, ils sont des indicateurs précoces intéressants. Dans le cas des faillites, il faut également distinguer la faillite «classique» selon la LP pour cause d’insolvabilité ou de surendettement et la faillite due à des «carences dans l’organisation de l’entreprise» (art. 731b CO). Ces carences organisationnelles sont liées à l’absence ou à la composition non-conforme d’un organe prescrit de la société – cette disposition a conduit à la suppression de nombreuses sociétés «dormantes». La base juridique actuelle pour ce type de faillite n’a été introduite qu’avec une révision du Code des obligations en 2008. Dans notre article ainsi que dans les figures, les faillites au sens de l’art. 731b CO n’ont pas été prises en compte.
[2] Entre-temps, la récession qui a suivi la crise financière aux Etats-Unis semble avoir eu un impact négatif sur ces mécanismes. A l’époque, par exemple, on a également constaté une forte baisse de création nette d’emplois dans les jeunes entreprises.