La pénurie du logement reste une des préoccupations principales des Suisses. Faut-il alors réduire l’attrait de nos villes pour pouvoir résoudre le problème du logement, comme le proposent certains? L’étude du cas emblématique genevois montre que non.
À Genève, une loi définit la pénurie de logements. Selon cette définition le canton de Genève serait en pénurie permanente… depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Au 1er juin 2012, seul un logement sur 300 était vacant. Depuis la moitié des années 2000, l’agglomération genevoise a connu une croissance économique supérieure à celle des autres régions métropolitaines suisse. À court terme il est inévitable qu’une augmentation de la demande de logements provoque une augmentation des prix des immeubles et un certain renchérissement des loyers. C’est le revers de la médaille de la croissance. Mais à long terme, de fortes hausses initiales des prix au niveau local devraient être accompagnées par une expansion conséquente de l’offre dans ces régions.
Dans de nombreuses régions cette logique de marché s’est mise en mouvement – mais pas à Genève (voir figure). Ainsi, les régions ou les prix ont davantage augmenté entre 2005 et 2010 sont celles qui ont connu un élargissement de l’offre plus conséquent. À Genève, au contraire, très peu de constructions ont été menées à bien récemment; à peine 1’020 entre avril 2011 et mars 2012, soit moins d’un demi-pourcent du parc immobilier.
Plus de régulation, moins de construction
Quelles sont les raisons de la pénurie? Premièrement la disponibilité de terrains à bâtir. Ce n’est pas un hasard si le marché foncier genevois est à la fois le plus réglementé de Suisse et celui où on construit le moins. C’est tout le système genevois de maîtrise du foncier par les pouvoirs publics qui est dysfonctionnel. Organisé autour d’une loi – la loi générale sur les zones de développement –, il cherche vainement d’imposer un «juste prix» des terrains et des loyers. Dans cette zone qui couvre presque 60 % de la zone à bâtir, l’État règle tout: rendements locatifs, prix de vente des appartements, part de logements sociaux, prix du foncier et coûts de construction. Or, force est de constater que depuis l’an 2000 très peu s’est construit sur les aménagements décidés dans ces zones. Sur les 13 000 logements qui auraient dû y être accueillis, à peine 2000 ont été réalisés à ce jour.
La construction de villas de luxe en dehors de la zone de développement, donc en dehors de ses contraintes, a, elle, continué. Ainsi, depuis 2000, entre 200 et 400 villas sont construites par an à Genève, soit 20 % à 25 % de l’ensemble des nouveaux logements. Pendant ce temps, dans l’agglomération zurichoise, la part des villas est passée de 34 % à seulement 11 %. Même le long de la «Goldküste», sur la rive droite du Lac de Zurich, les villas sont progressivement remplacées par des maisons en bande ou de la PPE – sans grandes oppositions des voisins puisque tous les propriétaires peuvent espérer en profiter. Un équilibre vertueux s’installe: un propriétaire en place ne s’oppose pas au redéveloppement de la parcelle du voisin pour ne pas s’exposer, le moment venu, à des représailles. Là où l’État ne s’en mêle pas trop – à Genève, paradoxalement, dans les zones de villas plus cossues – la construction suit.
Genève «perfectionne» le droit du bail
Le droit du bail est l’autre principale source de blocages. À bien des égards, Genève a «perfectionné» le droit suisse en colmatant des brèches qui ailleurs font office de soupape aux forces du marché. C’est le cas de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (LDTR) qui décourage la rénovation des immeubles, provoque la dégradation des surfaces locatives et favorise le bricolage, menant à des pratiques douteuses. Car loin de résoudre les problèmes auxquels ils étaient supposés répondre, ces dispositifs en ont créés d’autres, souvent inattendus, mais allant tous vers la diminution de l’offre.
Toutefois, on aurait tort de n’y voir qu’un exemple supplémentaire de «Genferei», la spécialité politique régionale. Des situations de pénurie semblables, bien que moins graves, se retrouvent dans d’autres villes suisses, dues en partie à une cause commune. Nous l’identifions dans certains mécanismes, incohérents du point de vue économique, de la loi fédérale sur la protection des locataires. Ils avaient déjà été illustrés dans une publication antérieure («Wanderung, Wohnen und Wohlstand», 2011). Il est urgent non pas de l’abolir (les économistes s’accordent sur le fait qu’une règlementation minimale du marché immobilier est nécessaire) mais de la réformer en profondeur car elle va à l’encontre des intérêts de ceux qu’elle prétend défendre. En matière de logement, l’enfer est pavé de bonnes intentions.
En effet, le «système genevois» fragilise une partie importante de la population, celle des outsiders, de ceux qui n’ont pas les moyens ou les réseaux sociaux à activer. Les inégalités se creusent, mais souvent pas là où on les attend. Parce que le droit du bail isole les anciens locataires de toute fluctuation du marché, ce sont les jeunes, les ménages mobiles et la classe moyenne qui en font disproportionnément les frais. Ils sont contraints de chercher à se loger ailleurs, au-delà de la ceinture verte qui entoure l’agglomération genevoise, participant ainsi à un mitage urbain que les citadins genevois préfèrent reprocher aux Valaisans.
L’urgence de réforme est patente. Avenir Suisse propose quatre axes principaux de réflexion:
- Abandonner le concept de «juste prix» des terrains et supprimer le contrôle des prix des terrains en zone de développement. Rétablissons la vérité des prix, la densification suivra.
- En contrepartie, il est légitime de taxer les plus-values immobilières et utiliser ces moyens pour subventionner les personnes qui en ont vraiment besoin ou financer les dépenses d’infrastructure des communes qui construisent.
- Supprimer la LDTR. Elle transforme le locataire en propriétaire sans droit d’investir dans son logement et provoque la dégradation de l’espace construit.
- Élever la ville.
Sans ces réformes, les fruits de la globalisation (dont Genève a tant profité) risquent de s’évaporer en rentes immobilières et dans les gaz d’échappements des pendulaires. Il est préoccupant que d’autres cantons (Vaud, Neuchâtel, mais aussi Zoug) commencent à copier en partie le mauvais exemple genevois. De plus en plus de personnes critiquent ouvertement la croissance économique. Or s’il est vrai qu’une majorité de la population de l’agglomération genevoise a une pratique et des exigences tout à fait distinctes de celle d’une minorité globalisée toujours «en mouvement», il serait fatal de méconnaitre que le bien-être des premiers dépend de l’effet de multiplicateur déclenché par ces derniers. Une stratégie visant à débloquer le marché du logement serait avantageuse pour tous. Car si le marché genevois est particulier, c’est surtout à cause de blocages fait maison.
Pour en savoir plus à ce sujet: «Une pénurie fait maison. Le malaise immobilier genevois: ses causes, ses remèdes» de Marco Salvi.