Pour nous révéler à nous-mêmes, nous les hommes devons parfois faire un voyage ou changer de perspective. Embrasser pour chaque projet une nouvelle perspective, intacte : tel était le credo de l’architecte tessinoise Flora Ruchat-Roncati.
En octobre 1960, les valises de Flora Ruchat-Roncati sont prêtes pour un grand voyage. Vers la fin de ses études à l’EPF, notamment auprès de Rino Tami, l’architecte veut se rendre avec sa famille en Côte d’Ivoire, ce jeune Etat africain qui vient seulement d’obtenir son indépendance et à qui on prédit un bel avenir. Mais les projets prennent fin brusquement lorsque son mari est mortellement accidenté en « Hunter » lors de son dernier vol d’entraînement en tant que pilote militaire.Flora Ruchat-Roncati reste en Suisse avec sa fille, âgée d’une année. La force qu’elle tire de son activité professionnelle l’aide à surmonter ce deuil.
Dans les années 1960, conjointement avec Aurelio Galfetti et Ivo Trümpy, elle planifie de nombreux complexes scolaires dans son canton d’origine. Lorsque sa fille aînée Anna se réveille la nuit, elle trouve souvent sa mère assise à la table du salon, plongée dans des plans. Le plus important ouvrage de Flora Ruchat-Roncati de cette période est la piscine extérieure de Bellinzone, près de laquelle la vieille ville est reliée par une passerelle à la ville nouvelle et aux installations de loisirs. Cette façon de procéder est typique de la «Tendenza » tessinoise, qui place ses constructions dans le contexte territorial et les besoins des utilisateurs au premier plan. Inspirés par Le Corbusier, les jeunes architectes cherchent une réponse au développement technique et social fulgurant de leur époque, en misant de manière très délibérée sur le matériau béton.
Dès le milieu des années 1970, Flora Ruchat-Roncati acquiert une renommée internationale comme professeure d’université. Elle occupe des chaires de professeur invité notamment en Suisse et aux Etats-Unis. En Italie, elle peut réaliser ses ambitions urbanistiques dans le cadre d’un grand projet pour la coopérative locale des métallurgistes, à Tarente. Un grand bond dans sa carrière a lieu en 1985, elle est la première femme à être nommée à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich. Enseignante enthousiaste, elle s’oppose à la spécialisation dans l’architecture. Elle-même ne se laisse pas enfermer dans un carcan et est sceptique à l’égard de ses propres expositions. Elle encourage plutôt les étudiants à trouver leur propre voie et leur propre esthétique. Elle attache moins d’importance aux commentaires des professionnels qu’à l’acceptation par les utilisateurs.
Cette bonne coéquipière s’engage sans cesse dans des communautés d’architectes, par exemple avec Renato Salvi pour les infrastructures construites de la «Transjurane», avec Dolf Schnebli et Tobias Ammann pour le bâtiment administratif de l’UBS à Manno près de Lugano ou pour le «Quartier Nord» de l’EPF Lausanne. Avant son décès subit en octobre 2012, elle parvient à conclure son mandat de conseil pour la NLFA (Nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes). Une fois de plus, son langage formel généreux crée une voie de passage pour les êtres humains.
L’ensemble des portraits des pionnières de la Suisse moderne fera l’objet d’une publication dans un livre qui paraîtra à l’automne 2014, édité par Avenir Suisse, les Editions Slatkine et Le Temps. A précommander ici.