«Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas» : l’économiste français Frédéric Bastiat a développé au XIXe siècle un instrument didactique qui nous aide encore aujourd’hui à mieux comprendre l’activité de l’Etat, et finalement à mieux l’organiser. Il est en effet facile de perdre de vue que toute dépense publique entraîne des coûts invisibles.

Penser aux coûts d’opportunité

Ainsi, chaque franc ne peut être dépensé qu’une seule fois. Si l’on encourage le tourisme («ce que l’on voit»), cet argent manquera ailleurs, soit pour d’autres tâches de l’Etat, soit dans le porte-monnaie des citoyens («ce que l’on ne voit pas»). Les économistes parlent de coûts d’opportunité.

D’un point de vue libéral, l’Etat doit donc toujours pouvoir justifier son action. Car c’est le citoyen qui sait le mieux à quoi il veut consacrer l’argent qu’il a gagné. L’argent de la Confédération devrait donc être dépensé avec parcimonie. Dans sa série d’été 2024, Avenir Suisse a décelé un potentiel d’économies dans les finances fédérales.

Quand l’Etat concurrence les entreprises privées

Toutefois, la mission de l’Etat dépasse aujourd’hui ce que nous montrent les finances fédérales. Son rôle d’entrepreneur est particulièrement discutable. La Poste, qui appartient entièrement à l’Etat, a versé en 2023 un dividende de 50 millions de francs à Berne. Voilà ce que l’on voit.

Parallèlement, le géant jaune est sous pression dans le secteur du courrier traditionnel. C’est pourquoi il se développe de plus en plus dans des domaines qui lui sont étrangers et a acheté des dizaines d’entreprises dans le secteur numérique. Avec l’Etat comme propriétaire, le risque existe désormais que les concurrents privés entrent en concurrence avec la Poste. Le géant jaune peut par exemple se financer à moindre coût que ses concurrents privés. Voilà ce que l’on ne voit pas.

Outre ces distorsions de concurrence, une mauvaise réglementation a également un coût économique élevé. Le potentiel d’amélioration est ici énorme. Ainsi, 60 % des 1500 entreprises interrogées dans le cadre du baromètre de la bureaucratie du Secrétariat d’Etat à l’économie se plaignent que la charge administrative a déjà augmenté au cours des cinq dernières années. L’Etat ne cesse donc d’élargir son champ d’action, même si cela ne se traduit pas directement par une augmentation de la quote-part de l’Etat. Pour des solutions possibles à ce sujet, nous renvoyons par exemple notre idée d’instaurer une semaine de «nettoyage» au Parlement.

Des rôles clairs pour la Confédération et les cantons

Enfin, nos propositions pour que la Confédération fasse des économies ont consisté à identifier différents domaines dans lesquels les cantons devraient en fait être mis à contribution. Ainsi, la Confédération consacre des centaines de millions de francs au trafic d’agglomération ou aux lignes régionales.

Nos propositions suivent le principe «qui paie, décide» ou «celui qui profite, doit aussi payer.» Ce n’est qu’à ces deux conditions que l’on peut correctement introduire des incitations et qu’une région réfléchit à deux fois avant de poursuivre l’exploitation d’une ligne ferroviaire ou de passer à un bus moins cher. Là encore, ce que l’on voit, à savoir les subventions fédérales, ne forme pas une image complète. Ce que l’on ne voit pas, ce sont les doublons et les inefficacités qui résultent d’un manque de clarté dans les responsabilités.

Finances fédérales en difficulté : parler des coûts cachés. (Ernie Ernst, Avenir Suisse, IA)

Le fédéralisme ne fonctionne que si les compétences entre la Confédération et les cantons sont clairement attribuées. Toujours est-il que juste avant la pause estivale, le Conseil fédéral a annoncé le projet Désenchevêtrement 27, qui vise à revoir la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons dans 21 domaines. Un plan concret devrait être disponible fin 2027. Cette idée est louable, car le dernier grand exercice de ce type remonte aujourd’hui à près de 20 ans.

Le plus grand biais de tous

Ce que l’on ne voit pas est donc souvent au moins aussi important que ce que l’on voit. Par conséquent, c’est la calculette qui dicte actuellement la discussion sur les finances fédérales. Les milieux politiques ne devraient pas perdre de vue qu’il est important de répartir clairement les tâches entre les niveaux de l’Etat, de passer au peigne fin le maquis réglementaire et d’éliminer les distorsions de concurrence. Dans tous ces domaines, il y a du pain sur la planche.

La réduction des dépenses au niveau de la Confédération est tout de même un premier pas important, car elle permet de maintenir les impôts à un niveau constant, voire de les réduire. Cet élément souligne l’une des plus grandes distorsions de toutes : chaque dépense de l’Etat doit en fin de compte être financée par une recette de l’Etat. Les impôts prélevés à cet égard ont un effet démotivant pour les salariés, les investisseurs et les épargnants. C’est précisément contre de telles conséquences, visibles seulement avec le temps, que le Français Bastiat a mis en garde, mais que beaucoup refusent encore de voir.