Richard W. Rahn, Senior Fellow au renommé Cato Institute et président de l’Institute for Global Economic Growth, admire le système politique suisse. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’a aucune critique à adresser aux Confédérés: au lieu de nous préoccuper de la vente de montres, de chocolat et de fromage, nous devrions mettre bien plus d’énergie à exporter notre modèle démocratique. Voici le cinquième article de notre série «Why Switzerland?- La Suisse vue de l’étranger», dans laquelle des scientifiques et des membres de think tank étrangers sont invités à livrer leur opinion de la Suisse.
Que pense le reste du monde de la Suisse? Mieux on connaît le pays, plus on l’apprécie. La Suisse devance les autres pays à bien des égards, mais en particulier à travers la création du système politique ayant le plus de succès au monde. Petit État à l’intérieur du continent, sans ressources naturelles, elle est parvenue à se tenir à l’écart de toute guerre au cours des deux derniers siècles et a développé un système démocratique stable, caractérisé par une diversité religieuse et linguistique, et ce, sans presque aucun conflit. De plus, le pays s’appuie sur un État de droit effectif, avec des juges compétents et indépendants, ainsi qu’une forte protection de la propriété individuelle.
Voici les places qu’occupe la Suisse dans les classements internationaux:
- 1ère place: satisfaction (Better Life Index de l’OCDE)
- 1ère place: compétitivité (Global Competitiveness Index du Forum économique mondial)
- 1ère place: population active (statistiques de la population active de l’OCDE)
- 3e place: bien-être de la population (World Happiness Report de l’ONU)
- 4e place: liberté économique (Economic Freedom of the World Report du Fraser Institute et du Cato Institute)
- 7e place: revenu par habitant (World Economic Outlook du FMI)
- 8e place: espérance de vie à la naissance (Better Life Index de l’OCDE)
En matière de système éducatif et de performances des écoliers, la Suisse se profile également un peu mieux que la moyenne des pays de l’OCDE, tandis que la qualité de l’air et de l’eau est bien meilleure que dans d’autres États. Les droits individuels, comme la liberté d’opinion, de religion et de presse (et même le droit de détenir une arme) sont bien protégés. On ne peut guère imaginer mieux.
Les Suisses ont toujours su éviter l’émergence d’un culte de la personnalité autour de leur élite politique. Les membres du gouvernement sont peu connus dans le pays même, et presque invisibles au reste du monde. Les leaders politiques qui jouissent d’un trop grand pouvoir et d’une trop grande visibilité sont bien trop souvent enclins à se montrer arrogants et à croire qu’ils sont tout-puissants, ce qui peut les pousser à commettre des fautes désastreuses. Peut-être que la raison pour laquelle la Suisse a commis moins d’erreurs en matière de politique économique et de politique extérieure que d’autres pays réside dans le fait qu’elle n’a pas de dirigeants puissants pouvant imposer une mauvaise politique.
Beaucoup considèrent la démocratie directe suisse comme un système lent et laborieux, mais comme me l’a dit un ami helvétique: «ce n’est pas que les Suisses soient plus intelligents que les autres, mais le temps qu’une idée soit mise en pratique dans notre système, elle s’est révélée être mauvaise dans d’autres pays».
Le monde est jaloux (on sait que l’envie est l’un des sept péchés capitaux) et la Suisse est souvent la cible des envieux et des ignorants. En tant que conseiller de membres haut placés dans différents gouvernements américains, j’ai souvent cité, au cours des dernières décennies, la Suisse comme un modèle qui fonctionne. Ce modèle est particulièrement pertinent pour les pays frappés par des conflits religieux ou ethniques. Malheureusement, trop peu d’États l’ont adopté. En juillet 2013, lorsque le débat concernant le système politique le plus approprié pour l’Irak a fait rage, j’ai plaidé pour le modèle suisse dans un article publié dans le Washington Times:
«Les Suisses ont atteint la paix et le bien-être en laissant les groupes ethniques et religieux s’autogérer au niveau local. Un tel système pourrait fonctionner en Irak. Ainsi les Kurdes ont largement réussi à administrer par eux-mêmes leur région ces dernières années. Il est peu probable qu’ils souhaitent être placés sous le contrôle d’un État central fort installé à Bagdad. Un système «à la suisse» leur permettrait de continuer à s’autogérer en grande partie. D’autres groupes en Irak considéreraient le modèle suisse comme la moins mauvaise des solutions.»
Au vu de ce qui arrive aujourd’hui à l’Irak, je songe parfois à cette chance ratée, au fait que le pays aurait pu adopter le modèle suisse et que cela aurait permis aux différents groupes religieux de vivre ensemble en paix et de jouir d’un plus grand bien-être. D’y penser m’amène à l’unique véritable critique que j’ai envers la Suisse: bien qu’elle exporte avec succès ses montres, son chocolat, ses médicaments, ses machines de précision et de nombreux autres produits haut de gamme, elle n’est pas parvenue à diffuser son système politique dans le monde, alors que la démocratie serait le bien le plus important qu’elle pourrait exporter.
Cela s’explique en partie par la modestie dont font preuve les Suisses et qui, dans une certaine mesure, est une vertu. Toutefois, l’incapacité de la Suisse à vendre (ou du moins à expliquer) son modèle au reste du monde lui a attiré de nombreux problèmes. Peu de personnes comprennent le secteur financier suisse et les avantages d’un système de banques privées, vieux de plusieurs siècles. Les Suisses sont ainsi souvent dépeints, à tort, comme des êtres avides et mauvais par la presse internationale. C’est pourquoi je conseille à la Suisse de vanter son modèle avec plus d’ardeur, d’énergie et, également, dans une certaine mesure, d’agressivité. Non seulement dans ses propres intérêts, mais aussi pour un monde plus pacifique et plus prospère.