«Un journaliste passionné ne peut jamais écrire un article sans vouloir inconsciemment changer la réalité», disait Rudolf Augstein, l’éditeur du magazine allemand «Der Spiegel». C’est également vrai pour toute journaliste passionnée, à l’exemple d’Elise Honegger. Née en 1839 à Stäfa (ZH), la fille d’un négociant en vins a tout fait pour honorer ce principe. Elle veut non seulement «changer la réalité», mais crée aussi tout de suite après son divorce à l’âge de 40 ans son propre journal, la «Schweizer Frauen-Zeitung». C’est le premier organe de presse périodique pour femmes en Suisse qui ne traite pas seulement de la mode, la cuisine, des enfants et du divertissement, mais prend également position sur thèmes de politique féminine.
C’est grâce à son mari, l’imprimeur Mathias Egger, éditeur du journal «Republikaner» entre 1878 et 1879 qu’Elise Honegger se met à l’écriture. Le journal n’a pas de succès commercial quand bien même Elise y est responsable pour le supplément féminin. Quand elle divorce après douze ans de mariage, Elise reprend son nom de jeune fille et fonde la «Schweizer Frauen-Zeitung».
Cette femme talentueuse se révèle non seulement comme journaliste passionnée, mais aussi en tant qu’entrepreneuse habile. Elle parvient à générer des revenus suffisants pour elle-même et ses sept enfants avec son activité éditoriale, entamée en 1879. Le journal est un des premiers magazines féminins à connaître le succès commercial. En 1911, Elise Honegger vend le titre aux éditions Ringier et continue à travailler comme rédactrice presque jusqu’à sa mort.
La «Schweizer Frauen-Zeitung» est loin d’êtreun pamphlet de la lutte féministe de gauche. Ce positionnement sera assumé par des générations ultérieures, qui pouvaient construire sur les fondements posés par les femmes qui les avaient précédées. Elise Honegger est l’enfant de son temps, et partisane d’un régime distinctif pour les sexes. Elle s’adresse à des lectrices bourgeoises. Le sous-titre de son journal, «Blätter für den häuslichen Kreis» (Journal pour le foyer domestique) est assez suggestif. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y avait pas ici aussi un espace pour des requêtes d’émancipation. Elise Honegger réclame une amélioration de la place de la femme dans le mariage et une revalorisation du rôle de la mère. Elle lutte pour l’accès des femmes aux professions masculines et pour une réforme des associations féminines.
Cette lutte aussi, elle la mène avec fermeté. Elle est la promotrice de la fondation de l’Association suisse des femmes, dont elle devient la première présidente en 1885. Toutefois, elle quitte cette fonction en 1886 déjà, après des conflits avec le comité directeur ; l’association est finalement dissoute. Mais c’est indirectement de ses cendres que renaîtra en 1888 l’Association des sociétés d’utilité publique des femmes suisses, encore active aujourd’hui.
L’ensemble des portraits des pionnières de la Suisse moderne feront l’objet d’une publication dans un livre qui paraîtra à l’automne 2014, édité par Avenir Suisse et Le Temps. A précommander ici