Le verdict est tombé dimanche : le peuple suisse octroie un sursis de cinq ans à l’AVS en acceptant la loi fédérale relative à la réforme fiscale et au financement de l’AVS. Selon les estimations de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), si rien d’autre n’est entrepris rapidement, la probabilité de récidive demeure néanmoins élevée. En effet, l’AVS sera à nouveau dans les chiffres rouges à partir de 2023, et son fonds, qui s’élève aujourd’hui à 45 milliards de francs, sera complètement asséché à l’aube de l’année 2035. Il s’agit donc de mettre à profit ce délai de mise à l’épreuve de cinq ans pour prendre des mesures structurelles.
A commencer par l’harmonisation de l’âge de la retraite des femmes avec celui des hommes à 65 ans prévue par le projet de réforme AVS 21 ; suivie d’un ajustement de ce départ en fonction de l’évolution de l’espérance de vie. Cette égalisation en apparence si logique dans une Suisse ayant inscrit l’égalité des droits entre hommes et femmes à l’article 8 de sa Constitution est néanmoins contestée par la gauche, adepte de la compensation d’inégalités par d’autres inégalités. A ce titre, il serait bon de procéder à un petit rappel des faits.
Des femmes avantagées dans l’AVS
Sur le plan démographique tout d’abord : l’espérance de vie des femmes à 65 ans est de trois ans supérieure à celle des hommes, quoi de plus normal donc que de travailler jusqu’au même âge avant d’obtenir une rente ? Les arguments invoqués en faveur de l’abaissement de l’âge de la retraite des femmes de 65 à 63 ans en 1957 font aujourd’hui sourire, et heureusement. Extrait du message du Conseil fédéral relatif à la 4ème révision de l’AVS : «D’un point de vue physiologique, malgré leur espérance de vie plus élevée, les femmes sont souvent désavantagées par rapport aux hommes.»
Rappelons aussi que les femmes obtiennent aujourd’hui 57% des rentes AVS alors qu’elles ne paient que 33% des contributions et que 97% des rentes de veuve leur sont octroyées en raison d’une législation favorisant les veuves par rapport aux veufs.
Pour atteindre l’égalité de fait entre hommes et femmes à tout niveau, les femmes auraient tout à gagner à accepter proactivement l’égalité des devoirs, même si tout n’est pas parfait. En effet, en montrant qu’elles sont prêtes à endosser les mêmes obligations, les femmes renforceraient leur position de négociation sur le marché du travail.
Des mères désavantagées dans le 2ème pilier
Fait pouvant paraître surprenant de prime abord : selon une étude de l’OFAS et du Bureau fédéral de l’égalité, il n’existerait guère d’écart de rente entre les femmes et les hommes célibataires dans le 2ème pilier, alors que les rentes des femmes mariées sont environ 75% inférieures à celles des hommes mariés. Ce pseudo-paradoxe s’explique principalement par la prévalence d’un modèle de répartition des tâches «traditionnel» au sein du couple des générations de rentiers étudiées qui joue un rôle déterminant pour la participation des femmes au marché du travail et impacte donc leur prévoyance.
Durant des décennies, le modèle prévalant voulait que la femme se retire (du moins temporairement ou partiellement) du marché du travail à la naissance du premier enfant. Le salaire féminin était considéré comme un salaire d’appoint et les femmes se voyaient souvent opter pour des postes de travail à temps partiel permettant plus de flexibilité, mais moins rémunérés. Dès lors, les femmes accumulent moins d’avoirs de prévoyance. D’autant plus lorsque l’on sait que des cotisations LPP ne sont versées que sur une partie du salaire (salaire brut moins «une déduction de coordination» de 24 885 francs).
Aujourd’hui encore, les femmes travaillent plus souvent à temps partiel que les hommes (59% contre 18%) et sont plus souvent multi-actives (travailler pour plusieurs employeurs à la fois). Il est néanmoins à relever que la tendance au temps partiel et à la multi-activité est à la hausse pour les deux sexes. La déduction de coordination n’ayant pas changé, aujourd’hui encore, les temps partiels et les multi-actifs sont désavantagés dans la prévoyance professionnelle obligatoire, et ce, indépendamment de leur sexe.
Un appel au compromis pour plus d’égalité
Au vu de ce qui précède, j’invite les femmes à prendre en considération un compromis : consentir à un léger relèvement de l’âge de la retraite (qui leur permettrait d’ailleurs d’accumuler plus d’avoirs de prévoyance), en échange d’une adaptation des conditions dans la prévoyance professionnelle qui les pénalisent aujourd’hui, telle que l’abolition de la déduction de coordination.
Tant les hommes que les femmes auraient à gagner d’une prévoyance qui ne cimente pas de modèle de vie et qui n’en impose pas de nouveau. Libre à chaque couple de s’organiser comme il l’entend.
Cet article est paru le 20.05.2019 dans Le Temps.