Dans notre article précédent sur cette thématique, nous avons présenté le «Qualified Refundable Tax Credit» (QRTC), un crédit d’impôt qui pourrait prendre de l’importance avec la mise en œuvre de l’impôt minimum de l’OCDE en Suisse. Le QRTC permet d’appliquer des taux d’imposition inférieurs au seuil de 15 % sans enfreindre la nouvelle réglementation de l’OCDE. Le hic, c’est que le QRTC est un crédit d’impôt remboursable. Sous certaines conditions – que nous avons évoquées dans l’article précédent – il peut donc donner lieu à un versement effectif à l’entreprise bénéficiaire.

La question de savoir si le QRTC deviendra un instrument favori pour la promotion économique dépendra également de l’ampleur de son effet sur la charge fiscale d’un groupe par rapport aux instruments actuels. C’est à cette question que nous consacrons la deuxième partie de notre série d’articles.

Comparaison des instruments de promotion de la R&D

Pour y répondre, nous comparons, sur la base d’un modèle de calcul, un QRTC sur les dépenses de recherche et de développement (R&D) avec la déduction supplémentaire pour R&D déjà appliquée en Suisse. La déduction supplémentaire pour R&D permet aujourd’hui, au niveau cantonal, de réduire le bénéfice imposable au-delà des dépenses de R&D, et ce jusqu’à 50 % de ces dépenses. Cet instrument est facultatif, mais 17 cantons ont introduit la déduction maximale jusqu’en 2023.

Le modèle de calcul repose sur les hypothèses suivantes[1].

  • Un canton avec un taux d’impôt sur le bénéfice [2] de 13 %, c’est-à-dire qu’un impôt complémentaire est prélevé, dont les trois quarts des revenus sont versés aux cantons et un quart à la Confédération.
  • Afin d’assurer la comparabilité du QRTC et de la déduction supplémentaire pour la R&D, l’allègement fiscal supposé des deux instruments est de même ampleur [3].
  • L’entreprise bénéficiaire est très rentable. Elle réalise un bénéfice élevé sur son chiffre d’affaires et dispose dans ce pays d’un site de recherche et de production important (voir commentaire dans le graphique).

Le graphique ci-dessous montre comment l’interaction entre les instruments visant la promotion de la R&D et l’impôt complémentaire se répercute sur la charge fiscale effective de l’entreprise prise comme exemple et sur les recettes aux niveaux fédéral et cantonal.

 

Un QRTC plus attractif pour les entreprises de la R&D

Comme nous l’avons décrit dans le , la réglementation de l’OCDE traite différemment le QRTC et les autres allègements fiscaux tels que la pour la R&D [4]. Il en résulte un impôt complémentaire plus élevé dans le cas de la déduction supplémentaire pour la R&D. La charge fiscale effective [5] de l’entreprise prise comme exemple ne s’élève toutefois «qu’à» 13 % en 2024 avec la déduction supplémentaire pour la R&D. Et pour cause : la déduction fondée sur des critères de substance (voir encadré à la fin de l’article). Celle-ci permet à toutes les entreprises qui doivent payer l’impôt complémentaire d’en déduire une certaine part de leurs frais de personnel et de leurs actifs matériels [6].

Si l’entreprise bénéficie plutôt d’un QRTC, la charge fiscale réelle de l’entreprise prise comme exemple est de 11,9 %. Bien que la charge fiscale soit nettement inférieure au seuil de 15 % pour les deux instruments, le QRTC serait donc l’allègement fiscal le plus intéressant pour l’entreprise.

A moyen terme, l’attrait du QRTC par rapport à la déduction supplémentaire pour la R&D augmente même encore du point de vue des entreprises, car la déduction fondée sur des critères de substance de substance sera continuellement réduite jusqu’en 2033 (voir encadré). En conséquence, la différence de charge fiscale effective entre les deux instruments s’accroît (voir les zones hachurées dans le graphique). Avec la déduction supplémentaire pour la R&D, la charge fiscale de l’entreprise considérée ici sera encore de 13,8 % à partir de 2033. Si l’entreprise bénéficie d’un QRTC équivalent, sa charge fiscale sera de 12,4 %.

De plus, l’entreprise prise comme exemple ne représente évidemment pas totalement la réalité: la déduction fondée sur des critères de substance réduit la base de calcul de l’impôt complémentaire de 35 % dans l’exemple. Dans de nombreuses entreprises concernées par l’impôt minimum, les salaires et les actifs sont probablement moins importants par rapport aux bénéfices. La charge fiscale calculée ici pour la déduction supplémentaire pour la R&D doit donc plutôt être considérée comme une limite inférieure. Pour la plupart des groupes concernés qui ont des activités de R&D, elle sera probablement plus proche du seuil de 15 %.

Le QRTC, sans effet sur le transfert de bénéfices

Dans le cadre général de la réforme, il convient de noter : le QRTC ne permet pas de remettre fondamentalement en question l’effet de l’imposition minimale. Ainsi, il n’entraîne aucune répercussion sur les transferts de bénéfices internes aux entreprises, qui constituent l’objectif de la réforme internationale avec l’imposition minimale. Si les bénéfices transférés n’entraînent aucune modification des dépenses de R&D, des frais de personnel et des biens réels, un taux d’imposition (marginal) de 15 % reste applicable. Les transferts de bénéfices vers la Suisse seront donc moins intéressants à l’avenir avec l’absence de QRTC.

Parallèlement, le QRTC offre aux cantons de nouvelles possibilités de maintenir à un bas niveau la charge fiscale réelle des entreprises. Mais avec son caractère de subvention, le QRTC est loin d’être anodin du point de vue de la politique économique. Vous en saurez plus dans la troisième et dernière partie de cette série de blogs.

La déduction fondée sur des critères de substance et comment elle influence l’impôt complémentaire

La déduction fondée sur des critères de substance offre un allègement fiscal aux groupes concernés ayant une «activité économique substantielle» dans un pays. Selon la réglementation de l’OCDE, 10 % des frais de personnel en Suisse et 8 % de la valeur comptable des biens réels en Suisse seront déductibles dans un premier temps à partir de 2024. Ensuite, la déduction de la substance sera progressivement réduite : à partir de 2033, 5 % des frais de personnel et des biens réels seront encore déductibles.

La déduction fondée sur des critères de substance ne s’applique que pour le calcul de l’impôt complémentaire. Par conséquent, elle n’est pertinente que pour les groupes dont le taux d’imposition se situe en dessous du seuil de 15 % selon la réglementation de l’OCDE. Le cas échéant, la base de calcul de l’impôt complémentaire est d’autant plus petite que le groupe dispose d’une substance économique importante dans un pays. Pour les groupes ayant des frais de personnel élevés et des biens réels de valeur dans le pays, la charge fiscale totale dans le nouveau règlement de l’OCDE tombe donc en dessous du seuil de 15 %, indépendamment des allègements fiscaux possibles.

Les groupes actifs dans la R&D qui bénéficient actuellement d’instrument pour la promotion de la R&D, tels que la déduction supplémentaire pour la R&D, et qui devraient payer l’impôt complémentaire, profitent davantage de la déduction fondée sur des critères de substance que ceux qui n’ont pas de dépenses en R&D. Ceci parce que la déduction supplémentaire R&D conduit à un ETR (effective tax rate) plus bas (en raison des petits payeurs) et augmente l’impôt complémentaire dû. Si l’on compare différents instruments d’encouragement, ce mécanisme joue en revanche un rôle secondaire en raison du traitement différent du QRTC et de la déduction supplémentaire pour R&D par la réglementation de l’OCDE.

Nous remercions le professeur Kurt Schmidheiny de l’Université de Bâle pour la vérification du modèle de calcul et les précieux échanges sur le sujet.

Vous trouverez de plus amples informations sur le nouveau règlement de l’OCDE dans notre publication «Le meilleur des mondes fiscaux».

Découvrez la première partie de cette série ici.

Découvrez la troisième partie de cette série ici.

[1] Voir à ce sujet l'exemple de la p. 12 et suivantes de cette publication, dont sont tirées certaines des hypothèses.
[2] Il s’agit de la charge fiscale combinée due à l’impôt sur le bénéfice (sans impôt complémentaire) de la Confédération, des cantons et des communes, exprimée en pourcentage du bénéfice avant déduction du montant de l’impôt.
[3] Pour la déduction supplémentaire, nous supposons la déduction maximale selon l’art. 25a LHID, c'est-à-dire 50 % des charges de R&D (de personnel) plus une majoration de 35 % de ces charges: déduction supplémentaire de R&D = 80 * 1,35 * 0,5 = 54. Le QRTC correspond à la déduction supplémentaire de R&D multipliée premièrement par le taux d’imposition des bénéfices après déduction du montant de l’impôt et deuxièmement par la part de la charge fiscale des cantons et des communes dans la charge fiscale totale: QRTC = 54 * (100/(100+13)) * (4.5/13) = 2.1504.
[4] Le calcul du taux d’imposition selon la réglementation de l’OCDE diffère légèrement, dans le cas de la déduction supplémentaire pour la R&D, de l’exemple des allègements fiscaux non reconnus présenté dans la première partie. Voir l’encadré 6 de cette publication.
[5] Il s’agit de la somme des impôts ordinaires sur le bénéfice et de l’impôt complémentaire (en % du bénéfice).
[6] Si l’entreprise prise comme exemple ne pouvait bénéficier d’aucun allègement fiscal, sa charge fiscale serait de 13,8 % grâce à la déduction de la substance (voir encadré).