Faut-il un fonds souverain pour la Suisse? La question fait débat depuis que la Banque nationale suisse (BNS) a abandonné le taux plancher en janvier 2015. Mardi, ce sont l’ancien président de l’institution monétaire Jean-Pierre Roth et le professeur émérite à l’IMD Stéphane Garelli, qui en ont débattu mardi à Genève lors d’une table ronde – «le Carrefour des idées» – organisée par Avenir Suisse en partenariat avec Le Temps. En tout, plus d’une centaine de personnes avaient fait le déplacement pour assister à une passe d’armes amicale, mais parfois musclée entre les deux orateurs.

Jean-Pierre Roth, qui est désormais président de la Banque Cantonale de Genève, a rappelé pourquoi il s’opposait à un fonds souverain qui serait alimenté par les réserves de la BNS. Et cela malgré les 635 milliards de francs qui s’accumulent dans ses coffres. «Le portefeuille de la BNS est le produit de la création monétaire tandis que le passif du fonds souverain norvégien, par exemple, repose sur des surplus pétroliers, quelque chose de solide», a-t-il notamment expliqué. Selon lui, le risque serait que le bilan de l’institution ne se réduise un jour aussi subitement qu’il a explosé depuis 2006. «Le monde peut changer brusquement, a-t-il souligné. La BNS serait alors contrainte de vendre ses actifs et perdrait ainsi sa liberté d’action.»

18% d’actions

Un argument qui n’a toutefois guère convaincu Stéphane Garelli. «Je ne crois pas que le bilan de la BNS soit près de diminuer», a indiqué celui qui est aussi président du conseil d’administration du Temps. Et ce dernier d’affirmer que la crédibilité du franc est aujourd’hui garantie par la bonne santé de l’économie suisse. Les deux hommes sont toutefois tombés d’accord sur un point: la BNS, dont 18% du portefeuille est constitué d’actions (soit 120 milliards de francs environ), est déjà un fonds souverain de facto. «Le problème, c’est qu’elle ne respecte pas les règles de bonne gouvernance et de transparence d’un fonds souverain, a poursuivi Stéphane Garelli. Si je n’ai rien contre le fait qu’elle investisse dans des actions, je veux simplement comprendre comment elle le fait. Or, aujourd’hui, mis à part que la moitié de ses titres sont américains, on ne sait rien de la façon dont elle gère son portefeuille.» Pour Stéphane Garelli, la BNS pourrait utiliser ses réserves monétaires à de meilleures fins que pour simplement financer Apple et d’autres géants américains. «J’ai peur de la réaction que pourrait avoir l’opinion publique, a-t-il expliqué. Que les gens ne comprennent pas que des milliards se promènent dans tous les coins, alors que dans le même temps Berne décide de réduire les dépenses.»

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De gauche à droite : Marion Molliet, Alexis Favre, Stéphane Garelli, Jean-Pierre Roth, Tibère Adler et Nicole Pomezny. Crédit photo: Lausanne Photo Studio.

Une banque d’infrastructure

Le professeur d’économie a plaidé pour la mise en place d’une banque d’infrastructure, «seul moyen de faire passer les excédents financiers et monétaires vers l’économie réelle». Il a pris pour exemple la construction d’une traversée sous la rade à Genève qui serait financée en partie par cette institution. «La BNS pourrait acheter des obligations de cette banque et participer ainsi à l’effort», a-t-il encore précisé. Faux a rétorqué Jean-Pierre Roth. En garant de l’orthodoxie monétaire, il a rappelé que la BNS ne pouvait pas utiliser ses réserves en euros et en dollars pour investir en Suisse. «Elle investit toujours à l’étranger. Sinon, cela voudrait dire qu’elle devrait acheter des francs, ce qui contribuerait à renforcer la monnaie», a-t-il souligné. Pour lui, une banque d’infrastructure ne peut donc être financée que par des emprunts de la Confédération. «Mais ça, c’est une question politique et non pas l’affaire de la BNS», a-t-il conclu.

Cet article est paru dans Le Temps du 19 octobre 2016. Avec l'aimable autorisation de la rédaction.