N’est-ce pas dangereux de se lancer dans une politique industrielle?

Lukas Schmid: Les aides de l’Etat à certaines entreprises ou secteurs sont injustes. Elles leur confèrent un avantage concurrentiel dont les coûts sont assumés par les autres. Les subventions sont en outre inefficaces car elles ne résolvent pas les problèmes structurels de l’industrie sidérurgique. Une fois introduites, elles sont souvent reconduites, ce qui rend les sociétés dépendantes de l’aide étatique.

Laisser mourir les aciéries, n’est-ce pas importer de la pollution en Suisse?

Non, les coûts environnementaux d’une délocalisation de la production d’acier dans des pays proches de la frontière devraient être faibles. Le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) estime que la fermeture de Stahl Gerlafingen entraînerait
des émissions supplémentaires de 300 000 tonnes de CO2, soit 0,3 pour mille des émissions de gaz à effet de serre causées par la Suisse. Si l’on tient compte des importations, la proportion est de 0,3 pour mille. Selon le Seco, l’impact des transports supplémentaires sur les émissions de gaz à effet de serre devrait également être de l’ordre du pour mille.

Comment parvenir à nos objectifs climatiques si un pan entier de l’économie circulaire disparaît en Suisse?

Il n’est pas décisif pour la réalisation des objectifs climatiques que la Suisse puisse ou non maintenir des pans entiers de l’économie circulaire à l’intérieur de ses frontières. L’économie circulaire ne doit pas se référer à une frontière arbitraire comme celle d’un canton ou d’un pays. Le recyclage devrait plutôt avoir lieu là où les coûts écologiques et économiques sont les plus bas. Cela peut être dans le canton de Soleure du dans le Grand Est

Avez-vous des exemples de subventionnements d’entreprises suisses qui ont mal tourné?

L’industrie horlogère. Pour protéger les entreprises, la Confédération a décidé, dans la première moitié du 20e siècle, d’un ensemble d’interdictions et de contrôles étatiques. Ces mesures ont cimenté les structures de la branche pour des années. Ce secteur a perdu sa compétitivité internationale. L’apparition de la technologie du quartz au début des années 1970 a entraîné une grande crise. Des dizaines de milliers d’emplois ont été perdus. Jusque dans les années 1980,
l’industrie horlogère a subi les conséquences de cet assainissement structurel. Il a fallu que l’Etat se retire complètement pour que l’industrie horlogère suisse renaisse.

Le Conseil fédéral sauve bien Credit Suisse. Pourquoi ne porterait-il pas secours au secteur de l’acier?

Dans une économie de marché, une faillite doit être possible. C’est d’ailleurs pour cette raison que les politiques ont pris des mesures globales après la crise financière de 2008. C’est pourquoi le recours au droit d’urgence et l’octroi de garanties d’Etat dans le cas de Credit Suisse étaient hautement problématiques. En mars 2023, le Conseil fédéral a décidé une fois de plus d’une intervention de l’Etat en raison du risque d’effets systémiques – et non du sauvetage des emplois dans une banque. On ne peut toutefois pas en conclure que chaque entreprise et chaque secteur doivent être sauvés.

L’entretien a été publié le 10 décembre 2024 dans «La Liberté».