Les ouvriers sidérurgistes, vêtus de leurs uniformes argentés et ignifuges, imposent par leur allure. Ils travaillent à la sueur de leur front, ce qui explique la sympathie qu’ils suscitent. Même au Palais fédéral, où a commencé lundi la session d’hiver, le sujet de l’aide étatique à l’industrie sidérurgique figure à l’ordre du jour. Sauver une aciérie équivaut à une bonne action, mais ce serait une erreur à court terme. Mais reprenons depuis le début.
Tout a commencé il y a environ deux ans, lorsque le secteur sidérurgique est entré en crise. Une usine du groupe AFV Beltrame située à Gerlafingen, dans le canton de Soleure, et employant quelque 540 personnes, c’est elle aussi retrouvée en difficulté, ce qui n’a pas échappé aux autorités fédérales. Apparemment encore habituées aux mesures drastiques du Covid-19 et de la crise de Credit Suisse, elles ont réagi avec des solutions radicales. Une motion a été déposée, exigeant rien de moins que «sauver l’aciérie, le cas échéant en recourant au droit de nécessité».
Un lexique extrême. Du fait de sa définition, le droit de nécessité, soit la suspension volontaire des processus démocratiques et de l’Etat de droit, ne devrait être utilisé que dans des situations exceptionnelles. Par exemple pour éviter des troubles graves à l’ordre public ou des atteintes à la sécurité intérieure ou extérieure. Rares sont ceux qui peuvent sérieusement prétendre que la faillite d’une filiale d’un groupe sidérurgique italien relève de cette catégorie.
Le fait que des représentants législatifs aillent jusqu’à demander le droit de nécessité dans une motion est préoccupant. Cela sape la confiance dans un cadre juridique stable. Certes, on pourrait attribuer cela à un excès de zèle dans le feu de l’action. Mais le narratif sous-jacent persiste : une seule aciérie pourrait être «d’importance systémique».
Cet argument a déjà été réfuté de nombreuses fois, car en cas de faillite, la Suisse ne souffrirait pas de difficultés d’approvisionnement. Il existe plus d’une douzaine d’aciéries proches de nos frontières, qui seraient ravies de fournir leurs produits à la Suisse. De plus, l’argument écologique ne tient pas, car les distances de transport parcourues sont parfois d’autant plus courtes selon l’endroit où se trouvent les consommateurs suisses.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que ce plan de sauvetage ne trouve que peu de partisans en dehors du Parlement. Le Conseil fédéral lui-même s’oppose à une intervention étatique pour soutenir des entreprises privées. Pour une fois, un large consensus règne dans l’opinion publique : l’Etat ne doit pas sauver les aciéries. Du Tages-Anzeiger à la NZZ, des universités aux think tanks : tous déconseillent unanimement de telles interventions. Même Swissmem, l’association de l’industrie, rejette explicitement cette politique industrielle.

Soutenir une aciérie dont l’importance n’est pas systémique est une vision court-termiste qui déforme la vue d’ensemble. (Adobe Stock)
C’est un bon signe pour la prospérité à long terme de la Suisse. Beaucoup de personnes sont conscientes qu’une bonne politique économique ne peut pas consister à sauver des entreprises spécifiques. Il est remarquable que même les représentants des intérêts industriels gardent une vue d’ensemble. Dans les pays voisins, les représentants de l’industrie ne font pas preuve d’une telle retenue, et n’offrent actuellement pas un exemple de bonne politique économique.
La comparaison avec l’étranger montre que l’industrie sidérurgique traverse une crise mondiale nécessitant une réduction des capacités pour s’adapter à une demande plus faible. Thyssenkrupp, le plus grand sidérurgiste allemand, a récemment annoncé la suppression d’environ 5000 postes d’ici 2030 dans sa division acier. Les problèmes des aciéries suisses ne se résument donc pas aux seuls coûts élevés de l’électricité en Suisse.
Malgré cela, les mêmes arguments pour sauver les aciéries seront à nouveau brandis au Palais fédéral dans les semaines à venir. La résonance de ces arguments est sans doute alimentée par une certaine nostalgie. Les aciéries sont un symbole de l’âge d’or de l’industrialisation, évoquant le «bon vieux temps». Les images d’ouvriers sidérurgistes dans leurs manteaux argentés devant les fours en fusion nous touchent.
Cette nostalgie est compréhensible, mais non seulement tout n’était pas nécessairement mieux avant, et le sauvetage à court terme d’une aciérie ne ramènera pas cette époque. L’avenir est devant nous, avec ses grands défis pour la Suisse, qui vont du vieillissement de la population à la transition numérique. Beaucoup de sujets d’avenir seraient à aborder lors de la session d’hiver, mais le sauvetage d’une aciérie n’en fait pas partie.
Cet article a été publié dans la NZZ am Sonntag du 30 novembre 2024.