En matière de fédéralisme, la Suisse est un modèle. La péréquation financière permet d’éviter des déséquilibres trop importants malgré la forte décentralisation et l’autonomie fiscale des cantons et des communes. Ce mécanisme s’applique entre les cantons, mais aussi entre les communes, un phénomène moins connu. Les exigences sont les mêmes aux deux niveaux de l’Etat : la péréquation financière doit être contrôlable, finançable et comporter le moins possible de mauvaises incitations.
Optimiser la péréquation financière
A partir de ces explications, on peut déduire les principes fondamentaux suivants (qui se rapportent à la péréquation financière entre communes) :
- Le volume des moyens à répartir devrait s’orienter sur les disparités (différences de ressources et de charges) entre les collectivités territoriales. Pourquoi ? Car si le canton doit réajuster manuellement la péréquation financière à chaque fois que des changements significatifs interviennent dans les communes, cela entraîne des coûts et conduit souvent à de mauvais résultats en raison des traditionnelles luttes entre les milieux politiques.
- Il devrait y avoir un (seul) instrument par objectif et un (seul) objectif par instrument. Pourquoi ? Car poursuivre plusieurs objectifs avec un seul instrument ne fonctionne généralement pas sur le long terme, des objectifs initialement bien corrélés pouvant diverger au fil du temps. Par ailleurs, poursuivre un objectif avec plusieurs instruments rend un système inutilement complexe et opaque. En cas de violation de ce principe, la contrôlabilité de la péréquation financière s’avère plus compromise.
- La péréquation financière ne s’appuie pas sur des facteurs que les communes peuvent directement influencer. Si tel était le cas, les communes seraient incitées à les adapter de manière à maximiser les transferts reçus (ou à minimiser ceux qu’elles doivent verser).
De ces principes découlent les idéaux suivants pour l’organisation concrète d’une péréquation financière :
a) Pas de péréquation financière indirecte. La péréquation financière est assurée directement par le biais de transferts sans affectation spécifique, au lieu de passer (comme c’était largement le cas auparavant) par l’échelonnement des contributions cantonales aux prestations communales en fonction de la capacité financière des communes.
b) Une distinction claire est établie entre la péréquation des ressources et la compensation des charges. La péréquation des ressources réduit les différences du côté des recettes, tandis que la compensation des charges s’occupe des différences du côté des dépenses.
c) Les transferts ne sont en aucun cas liés au taux d’imposition communal. Il n’y a donc pas de conditions fiscales pour bénéficier de transferts issus de la compensation des charges ou des ressources.
d) En cas de fusion, la péréquation financière est neutre. La fusion de deux communes ne leur procure ni avantages ni inconvénients au niveau des transferts issus de la péréquation financière.
e) La péréquation financière ne s’appuie pas directement sur des valeurs effectives :
- La péréquation des ressources ne se repose pas sur les recettes fiscales effectives d’une commune, mais sur le potentiel de ressources, que l’on appelle aussi capacité fiscale au niveau communal. Cela désigne les recettes fiscales par habitant pour un taux d’imposition uniformisé. Si une commune a par exemple un taux d’imposition de 78 alors que la moyenne cantonale est de 95, ses recettes effectives sont converties proportionnellement au taux d’imposition cantonal moyen (donc multipliées par 95/78).
- De même, la compensation des charges ne mesure pas les dépenses effectives, mais des facteurs de charge de nature sociodémographique (p. ex. taux d’écoliers, de personnes âgées ou de bénéficiaires de l’aide sociale) et de nature géographique et topographique (p. ex. surface par habitant, altitude, longueur des routes).
En 2013 déjà, la plupart des cantons avaient fait leurs devoirs
Il y a onze ans, dans le cadre du Monitoring des cantons 5, Avenir Suisse avait comparé la péréquation financière intercommunale de tous les cantons sur la base de tels critères dans un classement et leur avait attribué des points. Les cantons obtenaient alors des résultats tout à fait acceptables. La majorité des cantons avaient déjà à l’époque modernisé leur système. Certains l’ont fait en s’inspirant vaguement de la réforme de la Confédération entrée en vigueur en 2008, tandis que d’autres ont devancé la Confédération. En Suisse, pays qualifié de laboratoire d’idées, ce genre de scénario est fréquent.
Les réglementations peu transparentes et entraînant de mauvaises incitations, telles que les systèmes mixtes (de péréquation des ressources et de compensation des charges) ou la péréquation financière indirecte, avaient pour la plupart déjà été supprimées. Les cantons ont obtenu en moyenne 20 points sur un total de 33, alors que la Confédération a obtenu 27 points. La Confédération a été dépassée par les cantons de Fribourg (29 points) et de Glaris (32 points), ce dernier n’ayant même plus besoin de transferts importants en raison de sa fusion radicale récente avec trois communes. Le Valais (avec un système fortement calqué sur la Confédération) était à égalité avec la Confédération. Les Grisons, Saint-Gall, Soleure et le Tessin occupaient les dernières places.
Dans cinq cantons, une péréquation financière indirecte était encore en vigueur, douze cantons ne faisaient pas de grande distinction entre la péréquation des ressources et celle des charges, quatre cantons appliquaient des coefficients d’impôt, et dans dix cantons, la péréquation financière violait explicitement le principe de la neutralité en cas de fusion : neuf d’entre eux favorisaient explicitement les communes à faible population. Seul le canton de Vaud faisait (et fait toujours) exactement le contraire : les grandes communes reçoivent des transferts par habitant plus élevés (voir encadré) que les petites. En outre, dans six cantons, les dépenses effectives sont indemnisées par la péréquation financière.
Encadré : Péréquation financière intercommunale 2024 vs. 2013
Le graphique montre quels cantons ont violé les idéaux a) à e) susmentionnés en 2013 et 2024. Les cantons barrés sont ceux qui ont pu corriger entièrement (vert) ou en grande partie (orange) les lacunes de leur système par des réformes au cours de ces onze années. Les nouvelles lacunes apparaissent en rouge.
a. Péréquation financière indirecte : TI, SO, GR, VD, AG
b. Absence de distinction entre ressources et compensation des charges (2013) :
- Système mixte :
AG,SO, GE - Charge normalisée et produit normalisé :
NW,OW, SZ, TG - En principe, distinction, mais contributions importantes sans répartition claire :
GR, TI - Prise en compte des ressources dans la compensation des charges : AR, LU, SG.
c. Coefficient d’impôt : TI, GR, GE, SH
d. Violation (explicite) du principe de neutralité en cas de fusion : AG, AR, GR, NE, NW, SZ, UR, VD (↑), VS, ZG, OW
e. Indemnisation des coûts effectifs : SO, TI, VD, GR, SG, NW
Source : Propre enquête
Des réformes en profondeur d’ici 2024
Depuis 2013, cinq cantons ont totalement révisé leur péréquation financière : Soleure, Grisons, Argovie, Obwald, Nidwald. Deux révisions partielles d’envergure ont été réalisées dans le canton de Saint-Gall. Deux autres articles de blog s’intéresseront à certaines réformes. Voici donc un bref aperçu des principaux changements (voir encadré):
- En 2016, Soleure a remplacé un système mixte obsolète, dont le noyau datait de 1984, par un système moderne et clair, sans mauvaises incitations majeures. Si le canton se trouvait à l’avant-dernière place dans le classement du Monitoring des cantons 5, dans un classement mis à jour, il se retrouverait dans le groupe de tête.
- L’Argovie, qui avait une situation similaire, a imité Soleure en 2018 et a emprunté des voies innovantes pour la répartition des charges. Le système avait déjà obtenu un score moyen lors de l’évaluation de 2013, ce qui s’explique par le fait que la redistribution était relativement efficace et ne comportait pas de mauvaises incitations majeures. La structure du système était toutefois dépassée.
- En 2013, la péréquation financière des Grisons, avec son paysage communal complexe, violait tous les idéaux mentionnés aux points a) à e). Elle a été remplacée en 2016 par un système moderne qui élimine presque toutes les faiblesses de son prédécesseur.
- Jusqu’à il y a quelques années, les cantons de Nidwald et d’Obwald appliquaient entre leurs communes scolaires une péréquation qui mélangeait les charges et les produits. Depuis 2020, voire 2018, le canton distingue la péréquation des ressources de la péréquation des charges. Obwald a toutefois introduit, en plus de la compensation des charges, une compensation structurelle qui est explicitement distribuée aux communes ayant un faible nombre d’habitants.
- Malgré les deux révisions partielles, le système de Saint-Gall reste plutôt complexe et manque de cohérence sur certains points.
Dans l’ensemble, les réformes cantonales ont conduit à une nette amélioration des systèmes. Trois des cinq cantons dotés d’une péréquation financière indirecte et quatre des sept cantons dotés d’un système mixte complet ou d’une compensation des charges et des produits normaux ont pu abandonner ces instruments obsolètes. Parmi les systèmes qui ont été mal notés en 2013, surtout au niveau de leur structure de base, le Tessin et Genève font tache. Dans ces deux cantons, les tentatives de réforme en profondeur ont depuis échoué. Toutefois, grâce au fédéralisme, ils ont le choix entre plusieurs exemples.