«J’aurais préféré distribuer de l’argent, même si nous n’en avons pas.» C’est en ces termes que le futur ex-premier ministre français Michel Barnier a tenté de convaincre le parlement de voter son plan budgétaire. Mais en vain: le gouvernement minoritaire a été renversé, le plan de redressement des finances publiques rejeté. Un moment dramatique qui révèle la crise politique de notre pays voisin.

Et elle dure: cela fait cinquante ans, depuis 1974, que la France n’a pas présenté de budget équilibré. La dette publique est ainsi passée de 66 à 112 % du produit intérieur brut (PIB) en seulement deux décennies. Plus inquiétant encore: les marchés financiers considèrent les obligations d’Etat françaises plus risquées que les obligations grecques.

Le mythe des coupes budgétaires

Ces dernières semaines, les finances publiques ont également fait l’objet de débats intenses dans notre pays. Mais nous sommes loin de la situation française. Notre programme «d’économies» se limite à freiner la croissance des dépenses de 3 à 2 % par rapport à 2024. Il ne s’agit donc pas de dépenser moins, mais d’octroyer moins de dépenses supplémentaires que prévu. Ainsi, la hausse du budget doit être révisée d’environ 3 milliards de francs par an. La France, elle, doit aussi limiter ses dépenses supplémentaires d’au moins 60 milliards d’euros. Par habitant, les Français doivent renoncer à presque trois fois plus que les Suisses.

Si nous profitons d’une meilleure situation que nos voisins, c’est principalement grâce au frein à l’endettement introduit en 2003. Le concept est simple et logique: à long terme, l’Etat ne peut pas dépenser plus qu’il ne prélève. Les résultats impressionnent, surtout en comparaison internationale: alors que la dette de la France a explosé, la dette consolidée de la Suisse est passée de 50 à 30 % du PIB.

Alors que la dette de la France a explosé, la dette consolidée de la Suisse est passée de 50 à 30 % du PIB. (Image créée par Midjourney AI)

Même lors de la crise du Covid-19, le système a fait preuve de flexibilité

Souvent décrié, le frein à l’endettement n’est pourtant pas un obstacle à la croissance des dépenses publiques. Au contraire, depuis son introduction, les dépenses fédérales corrigées de l’inflation ont augmenté de 3 % par an dans l’éducation, et de 4 % par an dans le domaine social.

Par habitant, les dépenses totales de la Confédération ont même augmenté de 20 % depuis 2023. Depuis, nous avons construit le plus long tunnel ferroviaire du monde et faisons partie des leaders mondiaux en matière d’infrastructures et de concurrence.

Même lors de la crise du Covid-19, le système a fait preuve de flexibilité: 30 milliards de francs de dépenses supplémentaires ont pu être dégagés. Les mesures de soutien suisses étaient parmi les plus généreuses d’Europe.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les marchés financiers suisses soient nettement moins bouleversés qu’en France, malgré les discussions budgétaires en cours à Berne. L’avantage financier de cette stabilité est immense: sans frein à l’endettement, nous paierions annuellement 4 milliards de francs de plus en intérêts, ce qui correspond à 24 avions de combat F-35 ou à deux nouveaux tunnels du Gothard – par an! Aujourd’hui, la France paie plus de 50 milliards d’euros par an rien que pour les intérêts – de l’argent qui manque pour des investissements importants.

Les petits ruisseaux font les grandes rivières

Ce qui semble anodin – un peu plus de dépenses par-ci, un léger assouplissement des règles par-là – s’accumule au fil des années pour atteindre des montants colossaux. En quinze ans, la France a dépassé 14 fois la limite de déficit budgétaire de 3 % du PIB par an fixée par le Traité de Maastricht.

Le frein à l’endettement suisse, en revanche, est un gage de confiance et de stabilité. Il est essentiel de le préserver. Toute tentative visant à l’affaiblir doit être fermement rejetée. Cette prudence très helvétique n’est pas un obstacle à une politique judicieuse, au contraire.

D’une part, le frein à l’endettement nous permet de continuer à investir généreusement dans nos infrastructures, dans la formation et dans les habitants du pays. D’autre part, il permet une marge de manœuvre pour mobiliser rapidement de l’argent en cas de crise, comme c’était le cas pendant la pandémie.

La France est peut-être proche de nous sur le plan géographique, mais un monde nous sépare sur le plan fiscal. En comparant les deux pays, on réalise combien la discipline fiscale est bénéfique à long terme. La sobriété budgétaire imposée par le frein à l’endettement en Suisse peut sembler terne, mais elle est le prix à payer pour une stabilité qui, elle, ne manque jamais d’éclat.

Cet article est paru dans le journal Le Temps, le 13 décembre 2024.