L’appel pour une meilleure réglementation du marché de l’électricité prend de l’ampleur. Apparemment, une défaillance du marché serait à l’origine de la situation actuelle.
Mais on devrait plutôt parler d’une défaillance de l’Etat, car en Suisse, le marché de l’électricité est principalement public : de la production au point de raccordement d’un client en passant par la distribution, ce sont les entreprises publiques qui donnent le ton, souvent même en tant que monopoles régionaux. L’Office fédéral de l’énergie estime que près de 90 % des entreprises d’approvisionnement en électricité sont détenues par les pouvoirs publics. En outre, plus de 99% des consommateurs d’électricité sont privés de choisir librement leur fournisseur. Par ailleurs, les grands fournisseurs publics d’électricité ont investi massivement ces dernières années dans des produits et des services, notamment dans le domaine des installations électriques, et concurrencent ainsi directement les entreprises privées.
Double rôle : joueur et arbitre
Autre problème : l’Etat n’est pas seulement propriétaire, il détermine également, en tant que régulateur, les conditions-cadres dans lesquelles «ses» entreprises doivent évoluer. Ce rôle de joueur et d’arbitre à la fois porte potentiellement préjudice aux quelques acteurs privés.
Il existe également un potentiel de conflit entre les propriétaires publics (par exemple Axpo). Ainsi, le canton d’Argovie, contrairement à Zurich, l’autre grand canton copropriétaire, profite largement des redevances hydrauliques. En plus de la sécurité de l’approvisionnement, les intérêts financiers des propriétaires publics figurent souvent au premier plan. L’Etat n’est pas en soi un propriétaire qui veut du bien à ses clients. Ainsi, les Elektrizitätswerke des Kantons Zürich (EKZ) sont soumis par la loi à un objectif de bénéfice explicite. Des dizaines de millions de francs doivent être versés chaque année dans les caisses de l’Etat. Il n’est pas compliqué de s’imaginer que les bénéfices sont réalisés plutôt au détriment du porte-monnaie de clients privés du libre choix de leur fournisseur.
Face à la question de la propriété, les cantons sont dépassés : si des voix se sont élevées il y a environ six ans pour réclamer une stratégie de propriétaire claire, alors que les prix de l’électricité étaient au plus bas et que les pertes des entreprises d’électricité atteignaient des sommes parfois inconnues, rien ou presque n’a été entretenu entre-temps. Les gouvernements cantonaux restent largement opaques quant à leurs stratégies de propriétaires vis-à-vis des contribuables, bien que ces derniers devraient en fin de compte assumer financièrement les faillites, les imprévus et les pannes. L’expérience du refinancement de certaines banques cantonales en difficulté s’est estompée depuis longtemps. Les milieux politiques trompent les citoyens à deux reprises : non seulement ils ne peuvent pas choisir librement leur fournisseur, mais ils devraient également assumer financièrement une stratégie d’entreprise erronée en cas d’urgence.
Comment briser les chaines
La privatisation des entreprises d’électricité pourrait résoudre, ou du moins atténuer, bon nombre des problèmes et des risques évoqués :
- Le «crowding out» des investisseurs privés par les entreprises publiques cesse.
- Le double rôle de propriétaire et de régulateur disparaît, et la gouvernance s’améliore.
- Ce ne sont plus les contribuables, mais les investisseurs privés qui assument le risque financier.
- Les milieux politiques ne peuvent plus imposer aux entreprises des objectifs peu pertinents en matière de politique industrielle, régionale et de distribution.
- Les entreprises publiques ne peuvent plus abuser des postes bien rémunérés pour entretenir du clientélisme.
- La dépendance de la politique et l’absence de discipline de la part du marché favorisent les stratégies plus risquées. Bien qu’il n’existe pas de disposition légale explicite, de nombreux fournisseurs bénéficient de facto d’une garantie de l’Etat.
- De manière générale, les participations de l’Etat dans les entreprises constituent des risques cumulés, car elles se concentrent généralement sur certains secteurs et sur quelques entreprises.
On parle souvent de «privatiser les bénéfices, nationaliser les pertes» lors de la vente d’entreprises publiques, ce qui est absurde. En effet, la valeur d’une entreprise ne dépend pas de ses performances antérieures, mais de ses perspectives d’avenir. D’un point de vue technique, elle correspond aux distributions futures de bénéfices actualisées. Plus les perspectives de bénéfices d’une entreprise sont bonnes, plus son évaluation est élevée. La situation actuelle permettrait justement d’obtenir des recettes élevées. L’objection de vendre au mauvais moment peut être contrée en vendant par exemple 10 % des parts par an, de manière échelonnée sur dix ans.
Des conditions-cadres pour stimuler la concurrence
Les privatisations ne sont pas une fin en soi, mais constituent la dernière étape logique d’un processus de libéralisation. Avant de privatiser, il faut créer des conditions-cadres et des réglementations appropriées qui encouragent et stimulent la concurrence. Cela implique tout d’abord l’ouverture complète du marché et, contrairement à la tendance politique, l’ouverture aux investisseurs étrangers. La Suisse est en outre l’un des derniers pays d’Europe à disposer d’un marché monopolisé. En comparaison avec les pays voisins, les conditions-cadres nationales comptent parmi les plus nuisibles à la concurrence. L’engagement de l’Etat sur des marchés compétitifs, caractérisés par la fourniture de prestations privées, est inutile. Au lieu de multiplier les interventions politiques, il faudrait les réduire. Sinon, les conflits d’intérêts coûteux vont perdurer.