Il y a deux semaines, la schizophrénie de la politique de santé actuelle s’est une fois de plus illustrée. Mardi, les hôpitaux universitaires réclamaient des tarifs plus élevés. La hausse des salaires, conséquence de l’initiative sur les soins, ainsi que l’augmentation des coûts de l’énergie et du matériel mettent les hôpitaux financièrement sous pression. «Cela ne peut pas continuer ainsi», telle était la tendance de fond. Deux jours après, l’OFSP informait que les dépenses des caisses maladie augmentaient fortement par rapport à l’année précédente, ce qui rendait nécessaires des mesures d’économie. Dans ce cas également, les commentaires fusaient de toutes parts : «Cela ne peut pas continuer ainsi !».
Chaque année, c’est la même rengaine. Au printemps, on réclame davantage de prestations et donc de coûts. En automne, tout le monde exige des économies lorsque les nouvelles primes d’assurance maladie sont annoncées. Pendant ce temps, les représentants du peuple se contentent d’une politique symbolique. Rien qu’au niveau fédéral, plus de 500 objets parlementaires, souvent contradictoires, sont déposés chaque année concernant le secteur de la santé.
Malgré cette agitation, notre système de santé demeure une boîte noire. Certes, les dépenses peuvent être chiffrées avec précision : 86, 344 milliards de francs en 2021, mais la valeur de ces prestations pour les patients et la société reste inconnue.
Plus de prestation par franc investi
Pour placer les patients au centre des préoccupations, il convient d’appréhender la valeur d’une prestation (sa qualité) du point de vue du patient. Les dépenses supplémentaires sont justifiées lorsqu’elles correspondent à une prestation supplémentaire. Or, alors que ces dernières années, les dépenses par habitant corrigées du pouvoir d’achat ont augmenté de manière significative en Suisse, l’espérance de vie n’a que peu progressé en comparaison internationale. D’autres pays comme l’Italie, l’Espagne ou le Japon ont été plus efficients à cet égard. Leurs courbes sont plus raides que celle de la Suisse (voir figure ci-dessous).
Ces différences ne s’observent pas seulement au niveau international, mais aussi en Suisse. Par exemple, le nombre d’arthroscopies du genou par habitant en 2021 était trois fois plus élevé dans le canton de Bâle-Ville que dans le canton de Genève. De même, le taux de tomographies assistées par ordinateur réalisées varie. En 2021, 167 examens pour mille habitants ont été réalisés dans le canton de Vaud et 153 dans le canton de Genève, contre 103 seulement dans le canton de Zurich. La population romande est-elle plus malade que celle de Suisse alémanique ? Les Zurichois sont-ils moins soignés ? Sans mesure de la qualité par pathologie, il est impossible de répondre à cette question.
Reconnaître les différences
La première étape vers un système de santé axé sur la qualité et centré sur le patient consiste donc à accepter les différences dans le diagnostic, l’indication ou la mise en place d’un traitement. Ce n’est pas un acte de méfiance à l’égard des professionnels de santé, ni même un manque de reconnaissance de leur engagement. Il s’agit simplement d’identifier la variation statistique telle qu’elle se présente dans la plupart des professions. Reconnaître les différences, comprendre leurs causes et faire preuve de transparence à leur sujet constitue une étape indispensable pour améliorer la qualité de notre système de santé.
La transparence décourage de nombreux fournisseurs de prestation. Ce qui peut se comprendre, car même s’ils entreprennent ce qu’il y a de mieux pour leurs patients, beaucoup ne savent pas à quel point ils sont plus performants que leurs pairs. Cette méconnaissance peut déclencher de la résistance ainsi que la crainte d’une «chasse aux sorcières». La mesure de la qualité n’est pas non plus chose aisée, car si cette mesure est erronée, les conclusions tirées pourraient l’être aussi, ce qu’il convient d’éviter. Mais dans un système financé collectivement, qui redistribue plus de 80 milliards de francs par an, nous sommes tenus de rendre des comptes aux assurés et aux contribuables sur la qualité des prestations. Tout le reste n’est qu’une coûteuse navigation à l’aveugle, sans instruments.
Afin de prendre au sérieux les réserves des fournisseurs de prestation et de faire preuve en même temps de plus de transparence, nous proposons une procédure en deux étapes. Dans un premier temps, les sociétés médicales définissent des indicateurs pertinents pour leur domaine. Ceux-ci sont d’abord rendus accessibles de manière anonyme. A ce stade, chaque prestataire ne devrait avoir accès que à ses propres données comparées à celles de la concurrence, sans pouvoir identifier les concurrents. Cela permet l’instauration des premières améliorations et de se familiariser avec la méthodologie.
Deuxièmement, les mesures de la qualité seront rendues accessibles aux patients, aux fournisseurs de prestation et aux assureurs. Chaque institution pourra ainsi reconnaître ses points forts et identifier, si nécessaire, les partenaires de coopération appropriés. Les médecins traitants seront en outre en mesure, grâce à des critères objectifs, d’identifier les meilleurs spécialistes pour leurs patients. Le cadre temporel pour l’introduction d’un tel benchmarking devrait être fixé par l’État.
La pénurie de main d’œuvre qualifiée, une opportunité
L’appel à plus de qualité et aux soins axés sur le patient ne date pas d’hier. Pourquoi faut-il maintenant enfin y parvenir ? La pénurie de main d’oeuvre dans le secteur de la santé pourrait en être le catalyseur. La spécialisation du système de santé a certes apporté des succès médicaux, mais de nombreux acteurs en ont perdu la vue d’ensemble. Déterminer des indicateurs de qualité qui comptent pour le patient et qui reflètent son rétablissement tout au long de son parcours de soin contribuerait à améliorer la motivation des médecins et du personnel soignant dans une médecine très fragmentée. Pour les fournisseurs de prestation en tant qu’employeurs, l’accent mis sur la qualité leur permet de se démarquer de la concurrence. Ils gagnent ainsi non seulement les faveurs des patients (ou de leurs médecins traitants), mais aussi celles du personnel spécialisé qui se raréfie. Enfin, l’accent mis sur la qualité préserve les finances et le personnel. Elle accélère la guérison, minimise les complications, évite la surmédicalisation et réduit le nombre de thérapies superflues et pénibles pour les patients. En ces temps de pénurie de personnel, nous devrions optimiser les ressources disponibles à tous les niveaux.
Pour plus d’informations, consultez notre étude à ce sujet Plus de valeur dans la santé.