Le passage d’une économie linéaire à une économie circulaire nous promet monts et merveilles. Sa mise en œuvre concrète reste toutefois incertaine et amène son lot de revendications et d’activisme. Les interventions se multiplient dans les parlements aux niveaux cantonal et fédéral. Les idées, parfois nouvelles, parfois réchauffées, vont du moratoire sur la construction de nouvelles usines d’incinération des ordures ménagères à l’interdiction des sacs en plastique à usage unique.
Le problème de ces différentes propositions sur la mise en œuvre d’une économie circulaire, c’est que l’on ne s’y retrouve plus. Le discours politique se perd trop souvent dans des bagatelles. Les grandes lignes directrices et les critères stricts d’évaluation d’une mesure sont perdus de vue. D’autant plus que désormais, on mélange les sujets de politique climatique, du recyclage et de l’économie circulaire.
Zoom sur le plastique
Prenons par exemple le débat sur les déchets plastiques. On entend souvent qu’ils sont représentatifs d’une multitude de problèmes environnementaux. Ces dernières années, la quantité d’informations diffusées par les médias sur le plastique a entraîné une forte sensibilisation auprès de la population. Les images de plages polluées dans les pays en développement viennent inévitablement à l’esprit.
Pourtant, le plastique représente moins de 1 % de la quantité totale des déchets en Suisse (voir Bafu (2021a) et (2021b)). Ce pourcentage est sans commune mesure avec les décisions prises par certaines villes. Ainsi, Genève a interdit tous les récipients en plastique à usage unique sur le domaine public de la Ville en 2020. De même, un an plus tôt, Neuchâtel a voulu interdire les pailles en plastique, mais le canton a finalement annulé cette décision. L’UE n’est pas non plus à l’abri d’une telle politique symbolique. Depuis 2021 déjà, toute une gamme de produits en plastique, comme les pailles, la vaisselle jetable ou encore les cotons-tiges est interdite. En outre, l’interdiction des bouchons en PET sur les bouteilles d’eau entrera en vigueur en 2024. L’objectif est de réduire les déchets dans la nature.
Alors oui, boire à la bouteille n’est plus chose aisée. Mais le plus grave, c’est l’incapacité politique à prendre des mesures plus efficaces. En effet, on estime que les bouchons en PET représentent moins d’un pourcent de tous les déchets qui traînent. (WWF (2018)) On fait donc miroiter une prétendue solution au problème, alors que le bénéfice réel pour l’environnement est modeste.
Pourtant, l’idée que le plastique est un matériau problématique a fait son chemin. Un sondage représentatif a même estimé que renoncer aux sacs plastiques était la méthode la plus efficace pour réduire les émissions de CO2. (Donanto (2019)). Si l’on considère que 46 % des déchets plastiques dans les océans sont constitués de filets de pêche (Nature (2018)), les pailles et les sacs en plastique au niveau local jouent un rôle secondaire dans le problème du plastique mondial. Les fleuves américains et européens ne rejettent qu’un peu plus de 1 % des déchets mondiaux dans les océans (Lebreton et al. (2017)).
Quatre critères pour comparer les mesures
Si renoncer aux pailles et aux sacs plastique ne contribue pas à l’économie circulaire, alors quelles mesures sont efficaces ? Quatre critères en particulier pourraient aider à trouver une réponse : l’efficacité, l’efficience, la vérité des coûts et la neutralité technologique.
L’efficacité présente deux critères. Pour qu’une mesure soit efficace, elle doit d’abord couvrir une part aussi importante que possible du total des matériaux qui ne sont plus utilisés (portée, «scope»). De façon imagée, la portée de l’action est la grandeur du levier que l’on va activer. Deuxièmement, la mesure doit réduire autant que possible le degré («scale») des effets négatifs sur l’environnement. La mesure est considérée comme efficace si ces deux critères sont remplis. La seule démonstration de l’efficacité d’une mesure n’est cependant pas encore, loin de là, le garant que cette dernière est souhaitable pour l’ensemble de la société.
En Suisse aussi, seule une petite partie de la pollution aux microplastiques provient de telles sources. La majeure partie (environ 90 %), est causée par l’usure des pneus (Empa (2019)). Ce problème environnemental ne peut donc être résolu ni grâce aux voitures électriques, ni au tri des plastiques, ni même à l’interdiction de certains produits ou emballages.
L’efficience est tout aussi importante. Elle place les considérations économiques au premier plan. En effet, on oublie souvent de pondérer l’utilité écologique d’une mesure à ses coûts financiers. C’est pourquoi il est important de comparer plusieurs alternatives et d’en évaluer l’efficacité. Il se peut en effet qu’une mesure alternative présente des avantages écologiques plus importants, alors que son coût est le même.
En raison du caractère urgent de la problématique du climat, tous les moyens semblent souvent bons, quel qu’en soit le prix. Or, l’argent dépensé est toujours en concurrence avec d’autres postes de dépenses. Un système d’économie circulaire trop coûteux et fortement subventionné aurait pour conséquence de réduire les investissements dans d’autres domaines tels que l’éducation ou la santé. Dans cette optique de coûts d’opportunité, il est donc essentiel d’utiliser le plus efficacement possible les fonds alloués. Il existe des indicateurs qui permettent une comparaison objective des différentes solutions. Parmi eux, le Specific-Eco-Benefit-Indicator (Sebi) (Voir Stäubli, Pohl et Bunge (2017)) met en relation les unités de charge écologique (UCE) avec les coûts engendrés.
Le troisième critère est, d’un point de vue libéral, le véritable élément clé d’une économie circulaire. En effet, avec la vérité des coûts, si les responsables des externalités négatives supportent intégralement les coûts qui en découlent, les particuliers et les entreprises auraient de bonnes incitations pour trouver de nouvelles solutions allant dans le sens de l’économie circulaire. Exiger que les appels d’offres publics prennent davantage en compte les aspects environnementaux peut faire un pas dans cette direction.
Le quatrième et dernier critère vise à veiller à la neutralité technologique d’une mesure. Cela signifie qu’il faut fixer un objectif, et non la technologie ou le processus permettant de l’atteindre. En effet, l’interdiction de certaines technologies ou méthodes peut avoir l’effet inverse que celui escompté. Ainsi, selon l’origine ou la nature de l’emballage, les couverts en bois jetables pourraient même se révéler plus nocifs pour l’environnement que la vaisselle jetable en plastique (Fischer (2020)). L’appel à l’interdiction du plastique à usage unique pourrait donc, dans certaines circonstances, aller à l’encontre du principe d’efficacité. Il est en tout cas certain qu’une telle interdiction bafoue les principes d’efficacité, de vérité des coûts et de neutralité technologique. De plus, l’interdiction du plastique ne garantit pas le recyclage du bois utilisé.
Des faits plutôt qu’une idéologie
Une application des quatre critères aide la politique à ne pas s’égarer dans des mesures idéologiques. C’est justement l’exigence d’une économie circulaire qui crée des convoitises. Celles-ci peuvent davantage étendre les tâches de l’Etat ou pousser à dissimuler les véritables intentions derrière une mesure, par exemple en protégeant les producteurs nationaux contre une concurrence indésirable.
L’économie circulaire n’est pas une fin en soi : il faut réduire la pollution par des mesures efficaces et efficientes. Si la vérité des coûts est établie et que, dans le cadre d’une réglementation neutre sur le plan technologique, le modèle économique linéaire traditionnel est malgré tout plus rentable, il n’est pas nécessaire de boucler un cycle théorique à la va-vite. Il est alors possible de renoncer en grande partie à des prescriptions étatiques détaillées en matière de conception, de production ou de distribution. La recherche de solutions peut alors être confiée au secteur privé.
Cet article est paru dans l’édition 03/22 du journal «Die Volkswirtschaft».