Avec un degré de couverture de seulement 53%, la caisse de pension de l’Etat de Genève affiche le plus mauvais score sur un plan inter-cantonal. Cette situation alarmante n’est pas le seul résultat de marché des capitaux volatiles – les autres caisses investissent dans les mêmes marchés – mais reflète bien plus des problèmes structurels propres au canton. Même si le processus promet d’être douloureux, les Genevois et leurs fonctionnaires doivent saisir le taureau par les cornes s’ils ne veulent pas léguer une dette de plus de 6 milliards de francs à leurs enfants.
Les caisses de pension de la fonction publique en général, et celles du canton de Genève en particulier, vivent une passe difficile. En Suisse, le découvert de l’ensemble des caisses d’Etat se porte à 35 milliards de francs, comparé à 7 milliards de francs pour le secteur privé. Les caisses des fonctionnaires genevois (CIA) et du personnel hospitalier (CEH) comptabilisent déjà à elles seules 6 milliards de francs de cette somme faramineuse. Comment expliquer cette situation extrême sur Genève? S’agit-il d’un clivage public/privé ou d’une nouvelle «Genferei»?
Comparons à cet effet la situation du canton de Genève dans un contexte suisse (figure 1). On observe une claire détérioration du degré de couverture de l’Est vers l’Ouest du pays. Son niveau moyen en Suisse latine (FR, GE, JU, NE, VD, VS et TI) se monte à 62%, 30 points de pourcentage de moins que dans les autres cantons. Genève affiche la valeur la plus basse avec 53%, tandis que Fribourg obtient la meilleure valeur romande avec 77%. De l’autre côté de l’échelle, les cantons d’Appenzell (AR et AI) et Obwald se distinguent par des taux en dessus de 100%.
Par ailleurs, cette image de la Suisse ne reflète que partiellement la réalité, le degré de couverture dépendant largement du taux technique (une estimation des rendements moyens des capitaux à l’avenir), qui peut être librement définis par le conseil de fondation d’une caisse. Ainsi, une surestimation de ce taux de 1% entraîne une «amélioration» de 10% du degré de couverture. Ici aussi, les différences régionales sont frappantes. Le taux technique le plus bas est appliqué par le canton d’Appenzell Rhodes intérieures avec 2,75%, la valeur maximale étant celle de la CIA et de la CEH dans le canton de Genève avec 4,5%. Si la CIA appliquait les mêmes bases techniques que les Appenzellois, son degré de couverture serait seulement de 36% contre les 53% affichés. Les perspectives financières genevoises sont par conséquent beaucoup plus sombres que les taux de couverture actuels nous permettent d’anticiper.
Enfin, il faut relever que les caisses cantonales affichant les degrés de couverture les plus bas opèrent principalement en primauté des prestations (où la rente est définie en pourcent du dernier salaire). Ce modèle de fonctionnement est plus exposé aux aléas des marchés des capitaux. En Suisse Allemande, la plupart des caisses ont par conséquent déjà changé de régime et travaillent selon la primauté des cotisations (la rente dépend des contributions effectivement payées). Parmi les quatre cantons encore en primauté des prestations outre-Sarine, trois d’entre eux ont déjà annoncé le changement de régime. En Suisse latine, la primauté des prestations est toujours le modèle dominant, à l’exception du Valais. Mais le Jura et le Tessin devraient suivre. Genève, elle, se cramponne à la primauté des prestations.
Quelles sont les causes de telles différences régionales? Pourquoi les caisses publiques se portent si mal comparées au secteur privé? La réponse est presque banale: la politique. Toutes les caisses cantonales sont soumises à la même Loi fédérale sur la prévoyance professionnelle (LPP). Toutefois, leurs recettes, principalement les cotisations prélevées sur les salaires, et leurs dépenses – comme par exemple le montant des rentes et les possibilités de retraites anticipées – sont définies dans les règlements des institutions de prévoyance, voire dans des lois cantonales. L’équilibre financier des caisses de pension de droit public est ainsi la conséquence de choix politiques.
Les cantons latins sont-ils moins à même de financer des mesures d’assainissement et ainsi de corriger cette situation alarmante? La réponse est non. Grâce à leur capacité financière, Genève et Vaud sont des contributeurs positifs à la péréquation inter-cantonale. Mais pour renflouer les caisses de pension, il faut soit lever des fonds au travers d’impôts ou de nouvelles dettes, soit rééquilibrer les budgets au détriment d’autres activités. Les politiciens romands semblent visiblement moins enclins à prendre de telles décisions.
Face au gouffre financier des caisses genevoises, la politique et les citoyens doivent réagir.1:âge d’or des «Face au gouffre financier des caisses genevoises, la politique et les citoyens doivent réagir.» Xavier Comtesse ges, comme la retraite à 60 ans (CEH) resp. à 62 ans(CIA) ou les ponts AVS payés pour une retraite anticipée, est révolu. Les citoyens genevois doivent réaliser que la situation désolante des caisses de pension de leurs fonctionnaires n’est pas à comparer seulement avec le secteur privé mais aussi avec leurs pairs de l’administration publique en Suisse orientale. Dans cet éclairage inter-cantonal, les différences paraissent énormes et le référendum contre le plan d’assainissement défini par le Grand Conseil surprend. Les Genevois doivent par conséquent soutenir leurs élus dans l’analyse du sérieux de la situation et dans la définition des mesures adéquates qui en découlent. N’oublions pas qu’un degré de couverture de 53% signifie que pour 100 francs de rentes promis aujourd’hui, seuls 53 francs sont déjà dans les caisses de l’Etat. La différence devra être prise en charge par les contribuables de demain. Mais quel parent responsable serait prêt à garantir sa propre rente au détriment de ses enfants? C’est pourquoi, si difficile cette tâche soit-elle, il est du devoir de notre génération de garantir un assainissement rapide de la CIA et de la CEH. Nous le devons à nos enfants.
Cet article est paru dans «L'Extension» en janvier 2013.