Les banques sont les plus importants exportateurs de l’économie suisse. De ce fait, l’accès aux marchés transnationaux est indispensable. De plus, l’accès aux marchés étrangers pour les services financiers suisses entraîne la compétitivité pour les places stratégiques.
Quel chemin doit être emprunté ? Quels buts sont atteignables à court terme et quels sont les éléments qui nécessiteront plus de temps ? Jakob Schaad, vice-directeur d’Avenir Suisse, en charge de l’analyse politique, répond aux questions de Nicole Dreyfus.
Nicole Dreyfus : Monsieur Schaad, de quoi s’agit-il exactement quand on parle de l’accès au marché des banques ?
Jakob Schaad : L’accès au marché financier se différencie de l’accès au marché des biens. Il s’agit de la possibilité de fournir des services financiers de l’autre côté de la frontière. C’est le cas lorsque le client n’est pas en Suisse et est servi depuis la Suisse.
On différencie trois types d’accès au marché, lesquels ?
Il y a tout d’abord la présence physique sur place, en dehors de la Suisse. Puis l’accès actif au marché des prestations de service, par des opérateurs suisses qui veulent être activement présents de l’autre côté de la frontière. Enfin, le marché passif des services financiers transnationaux regroupe les clients (basés à l’étranger) qui viennent d’eux-mêmes solliciter des prestations en Suisse.
Quel est le rôle des facteurs tels que la réglementation du marché financier, du blanchiment d’argent, ou encore des impôts ?
La question de la réglementation des services financiers est absolument fondamentale. Pour le marché des biens, l’équivalent en serait les accords sur la levée des entraves non-tarifaires au commerce. En matière financière, la complexité vient du cumul de réglementations simultanément applicables, alors qu’elles ne sont pas totalement compatibles. Après la crise économique, il y a eu plusieurs nouvelles réglementations dans différents secteurs du marché financier : aux Etats-Unis (Dodd-Frank) et en Europe (la MiFiD 2 notamment). Mais ces réglementations sont différentes selon les pays ou les régions, elles compliquent donc l’accès aux marchés des services financiers.
Comme s’il y avait deux réglementations mais pas compatibles ?
Exactement. Les réglementations des différents Etats partenaires n’ont pas été travaillées de façon à être compatibles. La Suisse se retrouve naturellement au milieu, un peu prise au piège. Géographiquement, le pays est en Europe et la plupart des clients des prestations financières suisses sont établis dans l’Union européenne mais nous n’avons pas exactement les mêmes réglementations. La Suisse s’adapte, mais les règles sont différentes.
Autrement dit, la Suisse est contrainte de se conformer aux réglementations extérieures, sous peine de s’isoler ?
Oui. Il est devenu difficile de fournir un service financier de l’autre côté de la frontière. L’adaptation du droit suisse pour le rendre compatible au droit européen n’est pourtant qu’une condition nécessaire, et non suffisante : bien que la Suisse s’adapte, elle n’a pas pour autant un plein accès au marché intérieur de l’UE, en particulier pour ce qui concerne le traitement actif depuis la Suisse de clients établis sur territoire européen.
Changeons de sujet : la Première ministre britannique Theresa May communique ses convictions positives envers la globalisation, les partenariats internationaux et le libre-échange. En plein Brexit, les banques suisses soulignent à nouveau à quel point l’accès au marché européen leur est important.
On entend parfois que l’Union européenne est un marché en perdition mais il est évident que l’Europe reste un marché très important, pour les banques suisses en particulier.
On ne peut malgré tout pas se défaire de notre emplacement géographique.
Oui exactement, on ne peut pas déménager en Asie simplement parce que la croissance y est plus fulgurante. On ne peut pas se défaire de notre emplacement géographique et c’est pour cela qu’il est impossible pour la Suisse de renoncer à l’accès au marché européen.
Pour en revenir au Brexit : qu’est-ce que cela implique pour la Suisse ?
Il est difficile de dire ce que ça implique uniquement pour la Suisse, mais le Brexit pourrait bien offrir de nouvelles opportunités : Theresa May souhaite trouver une solution avec l’UE en ce qui concerne les réglementations financières, car le marché financier britannique est important pour l’Union européenne. Ces accords ou solutions recherchées par Theresa May pourraient certainement profiter à la Suisse également.
Par exemple, qu’est-ce qui serait central pour la Suisse ?
Le secteur financier basé à Londres réclame une procédure de négociation avec l’UE qui soit systématique et apolitique. La Suisse, notamment l’Association suisse des banquiers, demande aussi une telle procédure standardisée. Notre pays a déjà beaucoup réglementé, notamment pour protéger les investisseurs. Ce dont la Suisse, tout comme la Grande-Bretagne, ont besoin est d’une reconnaissance réciproque de l’équivalence de leurs réglementations avec celles de l’UE. Pour en juger, il faut porter l’appréciation de l’équivalent sur l’effectivité des règles, plutôt que sur leur énoncé, ce qui offrirait de nouvelles opportunités et plus de flexibilité. J’espère que l’Union européenne saura saisir ces opportunités qui profiteraient à tous.
Comment se situe la Suisse ? Nous sommes un peu dans le même bateau que la Grande-Bretagne et l’Union européenne sans être réellement nulle part.
Nous sommes évidemment très dépendants de l’Union européenne et de ses réglementations. J’ai l’espoir qu’il y ait une nouvelle ouverture, notamment dans les relations avec les pays tiers, parce que la crise a entraîné une forme de protectionnisme et de renationalisation, un certain renversement de la globalisation.
Donc vous parlez de protectionnisme ?
Oui, bien sûr. Parce qu’imposer des réglementations différentes, sans équivalence, c’est du protectionnisme : couper le client de certaines possibilités selon où il se trouve et le priver du droit de comparer et choisir qui apporte le meilleur service. C’est ainsi que fonctionnent les systèmes protectionnistes.
Economiquement parlant est-il, d’après vous, inutile d’être protectionniste ?
Non, ça n’amène à rien mais c’est très difficile de l’expliquer aujourd’hui. Certains peuvent en tirer des avantages à court terme, mais à long terme il est préférable pour l’investisseur de pouvoir choisir le pays et le prestataire de services financiers qui offre les meilleurs services. Cette possibilité de choisir stimule la concurrence, assurant ainsi la santé de l’économie.
J’aimerais attirer votre attention à nouveau sur la Suisse : les banquiers disent haut et fort que la Suisse aspire à un accès facilité à l’étranger afin d’y maintenir ses exportations financières et de construire une croissance future. Que veulent-elles précisément ?
La Suisse désire se libérer de la discrimination dont elle est aujourd’hui victime et obtenir un accès complet au marché européen afin d’y proposer ses services. Elle aimerait pouvoir proposer ses services financiers dans tout pays européen au même titre que les Etats membres de l’Union européenne. Concrètement, cela signifie que des professionnels suisses de la finance devraient pouvoir contacter des clients dans l’Union européenne, depuis la Suisse, et leur proposer des produits.
Qu’est ce qui est aujourd’hui nécessaire pour faciliter l’accès au marché des banques suisses et pour leur permettre de se créer des partenaires ?
Une première possibilité est un accord direct bilatéral avec des Etats partenaires, sans passer par une négociation au niveau européen. L’Allemagne, l’Italie, la France ou encore les Pays-Bas sont des marchés indispensables à la Suisse. Un accord bilatéral pour les services financiers existe déjà avec l’Allemagne. Avec la France et l’Italie les discussions sont en cours mais restent sans résultats pour le moment.
Ce sont des solutions à court terme. Comment envisager des solutions valables sur le long terme afin que la Suisse trouve une relation stable avec l’Union européenne ?
Le scénario d’un accord garantissant un accès complet au marché intérieur de l’UE pour les services financiers suisses est toujours possible. Cependant, pour l’UE, il semble que ceci devrait passer par la conclusion d’un accord d’intégration approfondi et substantiel : les règlements actuels dans le domaine financier devraient être adaptés et l’acquis communautaire de l’UE devrait être repris. Et un mécanisme de «reprise dynamique» du droit européen (donc quasi-automatique) pour le futur devrait y être ancré. Un tel accord d’intégration irait au-delà d’une réglementation valable uniquement pour les services financiers, mais constituerait une intégration partielle de la Suisse dans l’UE.
Peut-on dire que le Brexit mélange les cartes en quelque sorte ?
Oui, car l’UE a perdu son principal marché financier en Europe avec le départ annoncé de la Grande-Bretagne. Cela dit, la situation pour les banques suisses est très compliquée en ce moment. Nombreuses sont celles qui ont d’importants activités à Londres, et elles doivent de toutes façons réfléchir à de nouvelles stratégies. Peut-être que finalement le Brexit aura un impact positif sur les réglementations de l’Union européenne qui profiteront également à la Suisse. En particulier, on peut espérer que de nouvelles solutions, moins contraignantes en termes d’intégration partielle à l’UE, pourront être développées.
A quel point êtes-vous optimiste ?
J’aimerais l’être mais il est vrai que c’est difficile en ce moment, d’autant plus que les conséquences du Brexit restent floues pour le moment. Je reste persuadé que cette tendance à la renationalisation des réglementations financières affaiblira à long terme la compétitivité des places financières qui y sont soumises et pénalisera les investisseurs.
Cet article résume le podcast d’Avenir Suisse «Konkurrenzkampf unter Finanzdienstleistern».