Si le terme de «soft gouvernance» est désormais admis dans le monde international et que ses acteurs ne sont désormais plus les seuls Etats mais les entreprises, les organisations non gouvernementales et finalement la société civile tout entière. Si de nouvelles lois ont été promulguées pour mettre de l’ordre dans ce nouveau type de gouvernance – fondée non plus sur le rapport de force mais la prise en compte de tous les réseaux d’influence – alors elles doivent tout naturellement s’incarner dans les institutions.
Tel est le credo de Xavier Comtesse, qui a eu le bon goût de s’entourer pour l’occasion d’éminents spécialistes tels que Lynn Saint-Amour, Laurence Boisson de Chazournes, François Nordmann ou Edgard Morin. La plus emblématique de ces institutions étant incontestablement… Internet.
Tout l’enjeu d’Internet réside dans le fait que sa croissance repose sur un besoin de collaboration et de coopération. Les problèmes liés à l’interconnexion des réseaux ont été résolus par des individus à travers le monde, oeuvrant vers un objectif commun, souligne Xavier Comtesse. Des normes ouvertes ont été élaborées à travers des processus ouverts, auxquels pouvaient participer tous ceux qui y voyaient un intérêt. Toute personne souhaitant appliquer ces normes pouvait le faire sans avoir de permission à demander ni de droit à payer. Aucune autorité centrale n’était mandatée pour faire appliquer de quelconques règles. Sur le plan opérationnel, les responsabilités ont été réparties et un processus de décision a été initié, basé sur un consensus ouvert et la diffusion de documents.
On le voit, Internet diffère complètement des modèles de contrôle et de réglementation hiérarchisés traditionnels. Le groupe de travail sur l’ingénierie d’Internet (Internet Engineering Task Force IETF) constitue le forum où sont élaborées les normes d’Internet. Il est ouvert à toute personne intéressée, aucune adhésion ni affiliation n’est exigée. De quoi embarrasser passablement de gouvernements remis en cause par ces structures institutionnelles «souples». C’est qu’Internet dépasse de loin la technologie pure. Il représente une plate-forme pour l’innovation, un tremplin pour d’autres technologies, un canal de développement des communications, un lieu de rencontres, enfin un outil incroyablement puissant pour l’analyse, le partage des connaissances et la créativité.
Dès lors, de quel contrôle peuvent se targuer les gouvernements et les organisations internationales? La question est brûlante, au vu de l’actualité du Maghreb et du Moyen-Orient.
Xavier Comtesse, le web aura été le vecteur des révolutions outre Méditerranée ?
Le moteur, c’est le fait que le système de l’ascension sociale ne fonctionne pas dans ces pays-là. Une société où «les lendemains paraissent pires que les hier» n’avance pas. Les jeunes se sont ainsi emparés de l’Internet, des réseaux sociaux et de Facebook pour une double raison: d’une part parce qu’il n’y a rien de plus pratique. D’autre part, parce que c’est un réseau gratuit, immédiat, sans ticket d’entrée ni devoir montrer patte blanche. A l’opposé du clan, ou du mandarinat qui caractérise ces pays qui n’ont pas connu la révolution industrielle, Facebook s’impose comme une rupture profonde de l’organisation sociale.
Soft Institutions avait donc quelque chose de prémonitoire?
C’est que mon analyse portait sur une situation immanente. Les structures et le code d’Internet recelaient en eux-mêmes l’avènement d’une nouvelle liberté, d’une nouvelle restructuration sociale. On ne se rend d’ailleurs pas assez compte que nos jeunes à nous, en Occident, sont atteints exactement de la même manière. Prenez le seul exemple de Tokyo: les gens ont tellement peu confiance en l’information officielle que c’est Internet qui informe tout le monde. Le gouvernement nippon court derrière pour tenter de dire à la population ce qui a déjà été dit sur Internet. Et les médias sont des kilomètres derrière. Ils n’osent même pas y aller, alors que les gars d’Internet sont sur place. Internet est à la fois le lieu et la capacité de rassembler. Cet environnement nouveau dispose d’une capacité de précision extrême, à l’endroit même où ça se passe. Ces journalistes web sont de véritables consommacteurs.
Quel est l’impact d’internet sur la gouvernance mondiale?
Il faut bien voir qu’Internet n’est pas une nouvelle représentation du pouvoir. Le pouvoir est déjà pris, c’est un fait accompli. Comment l’ancien pouvoir va-t-il se soumettre au nouveau? Toute la question est là. En d’autres termes, nous avons une gouvernance distribuée et non plus centralisée. Les gouvernements doivent apprendre à manager la gouvernance distribuée.
Quel rôle Genève peut-elle jouer dans cette nouvelle donne de gouvernance mondiale?
Genève est une exception dans le monde. Calvin, Luther, Rousseau, Voltaire, Dunant, les ONG, la société civile et enfin le web: tout a démarré à Genève! Notre ville est le plus haut lieu de création de «soft laws», de normes Iso et de régulations internationales de toutes sortes. L’ Internet Society dispose de deux offices, l’un à Washington, l’autre à Genève. Bref, nous sommes au coeur du coeur. Nous devrions donc mieux le faire savoir, favoriser la réflexion et la compréhension, et animer une discussion avec la société civile globale.
Ce que fait la Fondation pour Genève.
Elle a en effet un rôle essentiel à jouer! Après avoir favorisé les «bons offices», elle doit créer son salon de Madame de Staël. Mettre au point un véritable think tank sur ces enjeux mal compris aussi bien par les diplomates et les décideurs que par le public lui-même.
Cet article est paru dans «l'Extension» du 12 avril 2011